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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force
Autoren: Victor Serge
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agrandies.
    – Il t’a reconnu, dit l’homme mince à son compagnon. Il
va donner l’alarme au poste. La sonnerie est derrière lui. Bronche pas, je tire.
    L’autre réplique vite et bas, dans un sourire faux, pareil à
un masque mal ajusté :
    – Pas de bêtises, José, es-tu fou ?
    Le timbre assourdi de la voix est autoritaire. Le masque s’ajuste,
le sourire faux devient un sourire vrai. L’homme en gris sort doucement de le
la poche droite du pantalon (… et les doigts de la sentinelle se crispent un le
canon du fusil ; et deux paires d’yeux hypnotisés suivent ce geste avec
une attention terrible) un étui à cigarettes en nickel, l’ouvre :
    – Ton briquet, José.
    José sort aussi sa main droite. Ils se considèrent détendus,
une petite étincelle blanche luisant encore au fond des yeux. Les cigarettes
allumées, ils s’éloignent sans se retourner. Les doigts de la sentinelle se desserrent
sur le canon de la carabine, la femme grasse derrière son haut grillage pousse
un long soupir. Que s’est-il passé ? Rien. Mais rien, bien sûr. Quelle
chaleur, Jésus ! quelle chaleur !
    Le parfum des fleurs se mêlait par instants à l’odeur
saline de la mer proche. Les deux passants plongèrent dans la foule bruissante
d’un boulevard. Une rue calme les accueillit, bordée de prétentieuses demeures
bourgeoises aux façades blanches, roses, bleues, vertes, bigarrées, parfois
surchargées de motifs dorés, alignées ainsi que des matrones cossues, portant
tous leurs bijoux, sur le passage d’une procession. Ils sonnèrent au 12. Tablier
blanc, bonnet blanc, vague sourire amène teinté de curiosité, une petite bonne
les introduisit dans la fraîcheur assombrie d’un vestibule. Ils se sentirent la
mine, l’un d’un déménageur ou d’un entrepreneur venu examiner les conduites d’eau,
l’autre d’un intrus suspect. Le plus grand secoua leur gêne d’un large
mouvement d’épaules : vieille habitude chez lui de secouer gaillardement l’invisible
fardeau qu’il portait toujours, imprimé sur ses épaules, depuis les temps où il
déchargeait les bateaux dans le port. À la soubrette, il décocha un regard
entendu qui le fit paraître plus laid encore qu’il n’était, avec son nez rond, trop
petit dans un visage massif et mou, et ses yeux pétillants, à fleur de tête, un
peu trop éloignés l’un de l’autre (des yeux de poisson malicieux, pensais-je).
    – Adorable enfant, ton maître nous attend à quatre
heures.
    La fille rougit un peu, lèvres pincées. « Entrez señor. »
Ils se trouvèrent dans une petite pièce grise meublée de chaises en cuir de
Cordoue et d’une table en marbre noir où étaient des illustrés. Un portrait de
vieil homme émacié du Greco s’inclinait vers eux avec une insondable tristesse,
du haut d’un cadre en ébène, ainsi que d’une lucarne.
    – J’ai bien fait de ne pas tirer, murmura José, surpris
lui-même de s’entendre parler, bien que sa voix eût été très basse.
    Ils aperçurent alors, faisant singulièrement vis-à-vis au
premier portrait, un autre portrait encadré de baguettes d’or. Grosses
moustaches rondes, gros yeux bleus, lorgnons et chevelure ébouriffée saupoudrée
de cendre. Le chef du parti républicain n’avait l’air de rien voir.
    – Fripouille, siffla José sans desserrer les dents.
    À cet instant, comme si c’eût été un mot magique, une porte
s’étant ouverte sans bruit entre les deux portraits, le señor député Domenico y
Massés – un beau nom sonore ainsi qu’un hexamètre – apparut, les deux mains
tendues, souriant de ses yeux rayonnants, de sa bouche sensuelle, de sa
jaquette bien prise à la taille, et, semblait-il, même de ses chaussures
vernies. Les deux visiteurs eussent pu se croire ses intimes amis, tant leur
présence paraissait le combler. Son cabinet baignait dans la clarté verte d’un
jardin constellé de roses. Une Aphrodite en marbre rose, les mains levées, dominait
son bureau. Il y avait aussi le portrait d’un garçonnet pareil à un petit
prince anglais de Van Dyck. – Du fond d’un fauteuil de cuir rouge, un monsieur
chauve, assez gros, rasé de frais, les sourcils blancs et touffus, se souleva à
demi, pour faire de la tête, aux visiteurs, un salut cérémonieux. Une double
chaîne en or reposait sur son gilet à pointes blanches. José Miro crut sourire
aimablement mais ne fit que découvrir ses dents de jeune loup.
    – Voici presque au complet le
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