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Mort à Devil's Acre

Mort à Devil's Acre

Titel: Mort à Devil's Acre
Autoren: Anne Perry
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1
    L’agent de police Withers éternua. En ce mois de janvier
glacial, le vent venu de la Tamise s’engouffrait en hurlant dans la ruelle
sombre. L’aube ne poindrait que dans trois heures, et les becs de gaz des rues
avoisinantes éclairaient à peine ce passage lugubre, encombré d’ordures, situé
à la limite de Devil’s Acre [1] ,
à l’ombre de Westminster.
    Il éternua de nouveau. La puanteur de l’abattoir, à moins de
cinquante mètres, le prenait à la gorge, mêlée à l’odeur nauséabonde des égouts,
des vieux détritus et de toute la crasse accumulée au fil des ans.
    Et maintenant… bizarre : le portail de la cour était
ouvert. Il n’aurait pas dû, en principe – pas à cette heure matinale. Sans
importance, sans doute ; un jeune apprenti qui avait négligé de faire son
travail – certains étaient vraiment insouciants. Certes, la viande devait très
probablement être en sûreté dans les chambres froides, mais aller voir, c’était
enfin quelque chose qui rompait la longue monotonie de sa ronde.
    Il traversa la ruelle. Mieux valait jeter un coup d’œil à l’intérieur
et vérifier que tout était en ordre.
    Il regarda autour de lui : l’endroit était silencieux. Seul
un vieil ivrogne qui avait trouvé là un refuge pour la nuit somnolait au milieu
de la cour. Il lui dirait de déguerpir, pour son bien, avant l’arrivée des
bouchers, qui n’hésiteraient pas à le jeter dehors sans ménagement. Ces
gaillards-là étaient souvent prompts à la bagarre !
    Il le secoua par l’épaule.
    — Allons, mon vieux, dit-il d’une voix forte. Vous
devriez partir. Vous n’avez rien à faire ici. Entre nous, drôle d’idée de
choisir un endroit pareil pour piquer un roupillon…
    L’homme ne bougea pas.
    — Hé, réveillez-vous !
    Il le secoua plus fort et souleva sa lanterne pour mieux l’observer.
Le pauvre vieux ! Était-il mort de froid ? Il n’aurait pas été le
premier que Withers découvrait dans cet état. Non seulement des vieillards, mais
quantité d’enfants en bas âge succombaient aux rigueurs de l’hiver.
    À la lumière de la lanterne, il constata que le pauvre homme
était bel et bien mort ; ses yeux grands ouverts étaient vitreux. Il
arborait une expression étonnée, comme si la mort l’avait surpris.
    — C’est curieux, remarqua l’agent à voix haute. D’habitude,
les gens qui meurent de froid s’en vont dans leur sommeil…
    Il déplaça sa lanterne vers le bas du corps.
    — Oh ! Dieu tout-puissant !
    L’entrejambe et le haut du pantalon étaient noyés dans le
sang ; le tissu de laine brune avait été lacéré et les parties génitales, complètement
arrachées, reposaient entre les genoux, masse de chair violette, sanguinolente,
méconnaissable.
    Withers sentit une sueur glacée perler à son front. Il eut
envie de vomir, incapable de contrôler le tremblement de ses jambes. Dieu
miséricordieux, quel être humain avait pu faire subir pareil supplice à son
prochain ? Il partit à reculons en trébuchant et s’appuya contre le mur, tête
baissée, pour empêcher la nausée de le submerger.
    Un long moment s’écoula avant qu’il ne reprenne ses esprits.
Que faire ? Chercher du secours, c’était certain. Et surtout, quitter l’endroit
au plus vite et fuir cette chose abominable allongée par terre.
    Il se redressa, passa le portail qu’il claqua derrière lui
avec violence, heureux de sentir la morsure du vent d’est sur son visage, en
dépit de l’air marin glacé et piquant qu’il charriait. Un meurtre n’était pas
un événement exceptionnel dans les taudis surpeuplés de Londres, en l’an de
grâce 1887. Mais là, il s’agissait d’un acte d’une bestialité que le policier n’avait
jamais rencontrée auparavant.
    Il lui fallait trouver un collègue pour monter la garde
auprès du cadavre, puis faire un rapport à ses supérieurs qui prendraient l’affaire
en main. Dieu merci, il n’était pas assez gradé pour se voir confier l’enquête !
     
    Deux heures plus tard, l’inspecteur Thomas Pitt, une lampe à
la main, refermait derrière lui le portail de l’abattoir et entrait dans la
cour. Il se dirigea vers le corps, toujours allongé à l’endroit exact où l’agent
l’avait découvert. Dans la lumière grise du petit matin, la scène était
particulièrement macabre.
    Pitt se pencha en avant pour soulever l’épaule du cadavre et
voir s’il n’y avait rien dessous – une arme peut-être, ou
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