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Mon frère le vent

Mon frère le vent

Titel: Mon frère le vent
Autoren: Sue Harrison
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elle se détourna et suivit le Corbeau.
    2
    Chasseurs de Morses
    Mer de Bering
    Elle n'entendait rien. Ni la voix pleine et ronde du vent, ni les cris aigus et ondulants de l'huîtrier et de la mouette, ni le clapotis des pagaies plongeant dans l'eau, ni la douce respiration de Shuku contre son sein. Pourtant, le silence était tranchant comme de l'obsidienne et noir comme du sang séché. Même son esprit était calme, si tranquille que si sa douleur n'avait été aussi intense, elle l'aurait cru enfui, transmis à Trois Poissons en même temps que son fils Takha et cette figurine représentant un homme, une femme et un enfant, sculptée il y a si longtemps par Shuganan le grand chaman.
    Elle n'avait pas proposé de pagayer, ni tourné son regard vers le Corbeau, ou vers les ikyan qui entouraient son ik.
    Kiin se détacha de ce que voyaient ses yeux, de ce qu'entendaient ses oreilles, jusqu'à ce qu'il ne restât que le battement de son esprit qui cognait comme une blessure. D'abord, il battit au rythme de ceux qu'elle avait perdus : Amgigh, Takha, Samig ; Amgigh, Takha,
    Samig. Mais maintenant, le silence s'était installé et Kiin se demanda si elle, le Corbeau et les commerçants Morses n'appartenaient plus au monde visible mais avaient ramé jusqu'en un pays de légende. Peut-être en ce moment étaient-ils portés dans l'esprit d'un conteur, ne vivant que par les mots qui, de sa bouche, pénétraient dans l'oreille des auditeurs.
    Quand le Corbeau parla enfin, Kiin ne l'entendit pas ; elle ne perçut que le bruit de la mer qui s'engouffrait avec la dureté d'une bourrasque. Puis elle sentit l'écume glacée sur ses joues et elle sut que le choix qu'elle avait fait n'était pas une simple histoire à relater les nuits d'hiver mais quelque chose de si réel qu'il était capable de séparer son âme de son esprit jusqu'au vide total.
    Alors, tandis que le Corbeau appelait ses hommes et leur désignait de sa pagaie une crique qui brisait la ligne grisâtre du rivage, Kiin appela son esprit jusqu'à ce qu'elle entende les murmures ténus de sa voix, son premier mot, un nom : « Takha. »
    Et Kiin répondit :
    — Non, Shuku.
    Puis l'ik du Corbeau toucha terre et Kiin, enveloppant avec précaution dans ses bras son enfant endormi, sauta sur le rivage. Elle ramassa du bois flotté et observa les hommes dresser un feu. Quand Chasseur de Glace lui tendit des morceaux de poisson séché, Kiin ne posa aucune question et, sans attendre, prit le poisson comme si elle était l'un des commerçants.
    Chasseur de Glace ne souffla mot mais la regarda avec étonnement si bien que Kiin, mordant dans la chair ferme et fumée, précisa :
    — Je sculpte.
    Et avant qu'il ne passe à un autre, elle s'empara d'un deuxième morceau.
    Ils s'abritèrent avec l'ik qui leur servit de pare-vent. Le Corbeau suspendit le rectangle de bois qui servait de berceau à Shuku aux côtes de l'ik, puis fit signe à Kiin d'ôter son suk. Le regard dur, elle obéit, mais elle ne mit pas Shuku dans son berceau. Il aurait plus chaud sanglé contre elle.
    Le Corbeau ôta son parka et poussa Kiin dans l'abri de la proue. Kiin tourna le dos au Corbeau. Il s'allongea près d'elle, étendit sa cape de plumes sur eux et pressa son corps contre celui de Kiin.
    La jeune femme attendit, la chair hérissée à ce contact. Elle posa une main sur Shuku, l'autre sur son propre ventre, et se rappela le temps où elle portait ses deux fils bien au chaud et en sécurité sous son cœur. Puis elle sentit battre la partie d'homme du Corbeau, dure contre son dos et elle demeura immobile, osant à peine respirer. Mais il n'essaya pas d'entrer en elle, de la revendiquer pour épouse. Finalement, il se détendit, son bras lourd sur les côtes de Kiin et son souffle se ralentit jusqu'au sommeil.
    La chaleur du Corbeau adoucit l'obscurité et la nuit tissa des rêves aux pensées de Kiin. Alors, l'esprit de Kiin parla, l'éveillant brutalement d'une voix aiguë comme le cri de l'huîtrier. « Amgigh, Amgigh, Am-gigh. » Un chant funèbre.
    Kiin laissa le chagrin s'emparer d'elle et les larmes coulèrent. Une fois encore, elle vit Amgigh mort sur la plage. Mais elle vit aussi Samig, Takha dans ses bras, tous deux sains et saufs avec Trois Poissons dans l'ulaq de Samig.
    Kiin respira profondément et essuya ses yeux du revers de la main. « Je suis forte, dit-elle à son esprit. Ils sont sauvés et je suis forte. »
    Tournant la tête en direction de la plage des Commerçants,
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