Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon frère le vent

Mon frère le vent

Titel: Mon frère le vent
Autoren: Sue Harrison
Vom Netzwerk:
menton.
    — Je serai une bonne mère pour lui.
    Kiin détourna les yeux, empaqueta ses outils à sculpter et ses fourrures de couchage, les sangla dans le dos puis rampa jusqu'au rabat.
    — Assure-toi que Baie Rouge le nourrit bien, dit Kiin.
    Puis, comme si elle pensait ne jamais revenir, Kiin se retourna et ouvrit les bras à Takha.
    Trois Poissons lui tendit le bébé et Kiin le souleva hors des couvertures. Elle caressa ses bras et ses jambes dodues, son ventre doux. Elle le pressa contre son visage, respira la bonne odeur de sa peau huilée. Puis elle le rendit à Trois Poissons et se glissa hors de l'abri, sous la pluie.
    — Je reverrai mon fils ce soir, dit Kiin au vent.
    Elle attendit, mais il n'y eut rien. Pas de réponse, pas
    de murmure pour calmer ses doutes.
    Kiin caressa la figurine qui pendait à sa taille, la dent de baleine qu'elle avait transformée en coquillage — sa première sculpture, signe du cadeau que lui avaient fait les esprits. Puis, serrant Shuku dans ses bras, resté seul dans sa bandoulière, sous son suk, elle se dirigea vers la plage.
    Chasseurs de Baleines
    île de Yunaska, îles Aléoutiennes
    Quatre ikyan de chasseurs avaient quitté la plage. Trois rentraient. Kukutux, qui possédait le don de voir au-delà de ce que percevaient les autres, cligna les paupières une fois, deux fois, et regarda de nouveau. Trois seulement.
    Elle coula un regard aux autres femmes Chasseurs de Baleines qui l'entouraient et remarqua leur visage sombre.
    — Tu les vois, Kukutux ? demanda Panier Moucheté.
    La femme s'appuya sur le bâton gravé par son mari ; il lui permettait de se déplacer malgré un pied écrasé au printemps dernier, quand les montagnes avaient détruit leur village.
    — Je vois des ikyan, répondit Kukutux avec lenteur, ses mots alourdis par la peur.
    — Combien ? s'enquit la troisième épouse de Mangeur de Poissons, une femme bien trop jeune pour appartenir à ce borgne presque trop vieux pour chasser.
    Kukutux secoua la tête. Elle avait déjà assisté à des retours de chasse et savait que les ikyan donnaient l'impression de se soulever au-dessus de l'horizon, comme si la mer se courbait sous le poids de la glace qui bordait l'extrémité de la terre. Parfois, lorsqu'elle ne repérait qu'un ou deux ikyan, d'autres apparaissaient soudain — fines lignes sombres surgissant de l'eau, comme s'ils avaient visité ces villages sous-marins que possèdent les phoques et les baleines.
    Elle attendit en silence, jusqu'à ce qu'une autre femme pointe du doigt les trois ikyan qui s'étaient rapprochés de la plage des Chasseurs de Baleines.
    — Kukutux, insista Fleurs-dans-les-cheveux, combien ? Rapportent-ils une baleine ?
    — Non. Pas de baleine.
    — Combien ? répéta Panier Moucheté d'une voix qui trahissait l'anxiété.
    — Trois, répondit enfin Kukutux qui éprouva soudain le besoin de pleurer, comme si ce mot donnait corps à ce que ses yeux savaient déjà. Seulement trois.
    Plusieurs femmes élevèrent la voix en un chant funèbre aigu et ténu. Mais Vieille Oie les fit taire, en sifflant entre ses dents que leur deuil attirerait les esprits. Qui sait, leur expliqua-t-elle, peut-être le dernier chasseur était-il à la traîne, tirant un phoque ou un lion de mer soutenu par des flotteurs en peau de phoque. Qui pouvait dire ? Peut-être y aurait-il ce soir de la viande et de l'huile pour tous. Pourquoi maudire une bénédiction ? Ces montagnes — Aka et Okmok — n'avaient-elles pas apporté suffisamment de malheurs aux Chasseurs de Baleines ? Les femmes trouvaient-elles utile d'ajouter à la malédiction du feu, des cendres et de l'obscurité ?
    Si Kukutux s'accrochait aux paroles d'espoir de Vieille Oie, les yeux fixés sur les cheveux emmêlés de la femme, la fourrure foncée et maculée de graisse de son suk qui lui descendait aux chevilles, elle entendait l'ode funèbre dans sa tête exactement comme si les femmes chantaient toujours.
    C'est pour ton fils, se dit Kukutux. Ce chant est pour ton fils, ce bébé solide aux cheveux noirs, parti depuis maintenant trois mois, son souffle volé par la cendre de la montagne qui recouvre encore la plage et les collines derrière le village. Tu portes son deuil. L'ode est pour lui. Les esprits ne voudraient pas prendre un Chasseur de Baleines de plus. Non, ils ne le voudraient pas. Trop d'hommes sont morts, chasse après chasse. Comment le village survivra-t-il si d'autres meurent ? La montagne en a pris
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher