Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin
Autoren: Anne Wiazemsky
Vom Netzwerk:
traverse le pont Alexandre-III et s’appuie un moment contre le parapet. Cet être réel, elle lui trouve à nouveau tant de qualités qu’elle pense l’aimer. Elle veut l’aider. Lui écrire, au moins, lui raconter ce qu’elle fait. Mais écrire où, s’il a changé de camp ? Les conditions de survie des prisonniers doivent être effroyables : les Allemands savent maintenant qu’ils ont perdu la guerre. Quel sera le sort de leurs prisonniers ? Les rendront-ils vivants ? Seront-ils libérés ? Quand ? Claire pense pour la première fois qu’elle souhaite suivre les armées jusqu’au cœur de l’Allemagne, jusqu’à Berlin.
    Autour d’elle, le vent est tombé mais un brouillard mouillé estompe le paysage. Elle devine plutôt qu’elle ne distingue la place de la Concorde, le Louvre. Paris lui semble triste et hostile, à l’image des eaux troubles que charrie la Seine. C’est une ville endormie, pétrifiée, qu’elle a hâte de quitter. Les passants sont rares et avancent d’un pas rapide, la tête enfoncée dans les épaules. Retourner à Belfort, c’est aussi se solidariser de Patrice, voilà ce qu’elle doit lui écrire.
    Malgré ses vêtements chauds, ses moufles et ses bottillons fourrés, l’humidité froide commence à la gagner. Elle se décide à rentrer chez elle, avenue Théophile-Gautier.
    À l’angle du pont et du quai, elle croise une femme tenant par la main un petit garçon. Il est tellement entortillé dans des écharpes qu’elle ne distingue rien des traits de son visage. Mais elle entend sa voix dès qu’elle les dépasse : « Maman, maman, la dame... » Claire se fige, craignant la suite, le jugement qu’il va porter sur elle : « ... la dame, elle est si belle ! »
     
    Journal de Claire :
     
    « Jeudi 7 décembre, Paris
    Tout ce que j’ai écrit sur le front n’a aucun intérêt. Dans mon souvenir, je ne revois pas du tout la même chose. Lorsque l’on écrit chaque jour, on omet d’écrire le principal tant c’est évident. Maintenant, lorsque je pense à là-bas, je revois la boue, des convois qui se succèdent sans arrêt, des Jeep et des Jeep, des soldats piétinant dans la boue, des feux de nuit autour desquels des hommes se chauffaient. Des ponts refaits sur lesquels on ne roulait jamais assez doucement, des types plus que sympathiques toujours prêts à vous sourire, vous parler et vous dépasser à l’occasion. Et dans cette boue, cette neige fondue qui tombait en rafales, une belle journée froide mais lumineuse. Et puis encore des maisons détruites, pas rasées comme après un bombardement, mais des maisons où l’on s’est battu, des traces de balles et de mortier. Maintenant, je revois la douceur d’une pièce très chaude et le froid qui vous pinçait lorsqu’on en sortait.
    Il me tarde d’y retourner. Mon arrivée à la maison n’a pas été agréable... »
     
    Claire repose son stylo, referme son cahier et se prend la tête entre les mains dans un geste enfantin de désespoir. Elle vient de tenter de restituer par écrit la semaine, pour elle si importante, de Belfort. Elle n’y parvient pas. Les mots lui échappent, l’humiliante impression d’être la plus mauvaise élève de la classe s’insinue en elle comme si cela datait d’hier. Elle entend les commentaires des professeurs : « Être la fille de François Mauriac et faire autant de fautes d’orthographe, de fautes de français... Vous n’avez pas honte ? » Elle se souvient des affreuses migraines qui soudain s’emparaient d’elle et la paralysaient, la rendaient idiote face aux adultes, aux autres élèves de sa classe. Ses parents s’obstinaient à ne pas voir la réalité de sa souffrance. Si au moins elle avait eu de la fièvre, on l’aurait prise plus au sérieux. Mais la migraine ne s’accompagne jamais de fièvre ou d’autres symptômes visibles de l’extérieur. Après, étaient venues les crises de foie, les journées entières au lit, la décision de lui faire arrêter ses études. On avait décrété qu’elle n’était pas en mesure de passer son baccalauréat, qu’il convenait de lui éviter un échec de plus. Comme si c’était hier, Claire se rappelle son soulagement et la honte qui très vite avait suivi.
    De l’appartement voisin parvient une sonate de Chopin très mal interprétée. Claire ne connaît pas la famille qui habite derrière le mur de sa chambre mais elle n’a jamais entendu un morceau de musique joué correctement.
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher