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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
Autoren: Henri Sanson
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moins l’austérité qui était chez lui tempérée par la bonhomie.
    Malgré leurs fréquents rapports avec l’abbé Gomart, mon père et mon aïeul n’ont jamais bien su à quoi s’en tenir sur les antécédents de ce religieux avant qu’il embrassât la vie monastique. Ils inclinaient pourtant beaucoup à croire qu’on exagérait singulièrement le roman de sa jeunesse en lui prêtant des aventures si dramatiques car, malgré son air de réserve, il était assez communicatif, et quelques autres confidences qu’il leur fit ne leur permettaient guère de croire qu’il eût été aussi muet sur son passé, s’il y avait trouvé des sujets d’épanchement.
    Ainsi il lui arrivait souvent dans ces réunions du vendredi, où ma famille était si heureuse de le posséder, de manifester les inquiétudes que lui causait une jeune nièce qu’il avait à Paris et dont les inclinations légères et dissipées étaient pour lui un continuel sujet d’alarmes.
    — C’est l’enfant du péché, disait-il en hochant la tète. Je crains bien qu’elle ne porte la faute de sa naissance.
    Cette jeune fille qui s’appelait Marie-Jeanne Rançon de Vaubernier avait été élevée au couvent de Sainte-Anne par les soins apparents de son parrain, Billard du Monceau, mais en réalité par la protection du cligne abbé qui avait quelques raisons de ne pas laisser apercevoir trop clairement, dans un certain monde, la sollicitude qu’elle lui inspirait. L’éducation avait mal germé dans cette tête vive et folle, et n’avait fait qu’y développer des aspirations bien contraires à l’esprit de la sainte retraite où on l’avait placée. Aussi ne put-elle point y rester, et, pour satisfaire à ses goûts mondains, on essaya de la mettre en apprentissage chez une célèbre modiste, nommée Labille. Ce fut sa perte ; dans cette maison, où affluaient tous les jours les élégantes de la cour et de la ville, sa coquetterie prit un essor immodéré et ne lui laissa plus jour et nuit que la pensée de suivre la trace de si brillants modèles. La beauté de Jeanne était remarquable et lui présageait les plus grands succès si elle parvenait à se montrer sur un théâtre digne de ses charmes. Elle ne tendit plus qu’à cela. Malheureusement depuis la chute de la première, femme, c’est rarement l’occasion de pécher qui manque à ces pauvres créatures faites de grâce et de faiblesse. Le vieux serpent de la Genèse, tapi sous les fleurs, leur murmure incessamment à l’oreille son perfide langage et enroule autour d’elles ses anneaux venimeux et glacés. Il en fut de même pour Jeanne. La tentation se produisit et se multiplia sous toutes les formes. Ce fut d’abord une de ces matrones infâmes qui chassent aux jeunes filles, comme on chasse aux alouettes et prennent leur inexpérience dans le piège d’un miroir qui brille ; une courtisane émérite, du nom de la Gourdan, s’empara de l’imagination de Jeanne et y jeta les premières semences du vice ; des roués et des séducteurs, comme on mettait alors sa gloire à l’être, achevèrent cette œuvre de corruption, et la malheureuse enfant roula de bras en bras sans même éprouver au sein de cette honte le sentiment de son abjection.
    Mon bisaïeul put suivre sur le visage, de plus en plus attristé de l’abbé Gomart, les progrès de cette décadence morale. Ce dernier ne s’expliquait point ouvertement sur les désordres de sa nièce ; mais il parlait d’elle avec une amertume toujours croissante et en déplorant le don de cette fatale beauté qui la conduisait à sa perte.
    Mon grand-père, Charles-Henry Sanson, était alors dans toute la fougue de la jeunesse et des passions. Son imagination s’enflamma aux récits du religieux, et il brûla de connaître cette jeune fille si belle et exposée à de si grands périls. Il se mêle toujours quelque chose de noble et d’héroïque aux premiers mouvements d’un cœur qui s’éveille et un secret désir, un vague espoir de ramener cette âme égarée dans le sentier du devoir, de la rendre docile à la voix de ce vieil oncle qui semblait lui porter la tendresse d’un père, se confondait dans la pensée de Charles-Henry Sanson avec une fiévreuse impatience de connaître cette beauté dont Gomart s’était peut-être trop complaisamment arrêté à faire le tableau.
    Par quelques mots échappés imprudemment au religieux, Charles-Henry avait appris que la jeune fille habitait rue du Bac, et il
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