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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
Autoren: Henri Sanson
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de l’accident, se rappela la réputation chirurgicale dont jouissait mon bisaïeul, qui passait dans le quartier pour un Ambroise Paré ; il lui fit donc demander s’il voulait recevoir le blessé et lui donner les soins que réclamait son état. Jean-Baptiste Sanson n’eut garde de refuser, et le pauvre Chesneau fut transporté chez nous tout sanglant et tout mutilé ; mais après avoir bien examiné et sondé la plaie, mon bisaïeul reconnut qu’elle n’était pas dangereuse, et qu’il arriverait certainement à une guérison radicale.
    C’est, en effet, ce qui eut lieu après un traitement de deux mois environ, au bout desquels la blessure fut complètement cicatrisée, et Chesneau recouvra toute l’élasticité et la vigueur du bras qui avait été endommagé. Le pauvre garçon en eut à mon bisaïeul une reconnaissance éternelle, qui s’est étendue à toute notre famille et dont j’ai recueilli moi-même des marques dans mon enfance.
    Après la mort du comte de Charolais, Chesneau était passé au service du roi Louis XV qui l’avait attaché à son cabinet des armes. Louis XVI hérita à son tour de ce fidèle serviteur, et comme ce prince aimait passionnément les arts mécaniques, il ne fut pas celui qui prisa le moins les mérites de Chesneau. Il sut, au contraire, tirer souvent parti de son talent pour la gravure et la ciselure.
    Mais quand la tourmente révolutionnaire se déchaîna, la faveur des princes ne fut plus qu’un titre de proscription. Chesneau, que la volonté populaire avait transporté, avec son maître, de Versailles à Paris, se trouva, le 10 août, chassé avec tant d’autres du palais des Tuileries. Il sentit le péril auquel l’exposait cette livrée des cours qu’il avait portée toute sa vie ; il songea alors à cette maison, où souffrant et blessé, il avait trouvé jadis des soins affectueux et une douce hospitalité ; il vint frapper à notre porte.
    Jean-Baptiste Sanson n’était plus depuis longtemps ; mais son fils, élevé dans les mêmes principes, pratiquait les mêmes devoirs. Il tendit la main au vieillard et lui offrit un asile pendant ces jours d’orage. Chose étrange ! Le serviteur d’un prince et de deux rois n’avait point amassé de fortune dans cette atmosphère dorée. Nature essentiellement contemplative et artistique, incapable d’intrigues, il avait mangé le pain de chaque jour, sans l’inquiétude de celui du lendemain. Toutes les libéralités qui étaient venues de temps à autre le chercher dans son atelier, étaient passées à satisfaire ses goûts d’artiste : armes de tous pays, lames damasquinées, etc., et cette collection, si soigneusement amassée, se trouvait dispersée aux quatre vents, dans le pillage qui avait dévasté les demeures royales.
    L’oisiveté et l’aumône étaient aussi antipathiques l’une que l’autre à Chesneau, et une fois sous le toit de mon grand-père, il y voulut absolument justifier sa présence par un travail utile. Longtemps on résista à son désir en exigeant qu’il ne s’occupât de rien que de cette fabrication d’armes qui avait été l’étude et la passion de toute sa vie ; mais quand ce pauvre vieillard eut gratifié ses nouveaux hôtes de trophées et de panoplies à rendre les anciens jaloux, il fut impossible de l’empêcher de mettre la main à la hideuse machine qui venait de remplacer tous les instruments de supplice. On le vit plusieurs fois, à l’époque de la Terreur, gourmander les aides sur leur négligence et vouloir veiller par lui-même à ce que le couperet, auquel on faisait faire tant de besogne, fût bien tenu en état, et pût glisser librement dans les rainures.
    — Quand tant de braves gens périssent sur l’échafaud, disait-il en hochant la tête, n’allez pas vous aviser de les faire souffrir. Tuez-les, mordieu ! puisqu’on vous y force, mais ne les massacrez pas. Ce serait de la besogne de septembriseur.
    J’étais si jeune lorsque le pauvre Chesneau mourut, que je n’ai conservé de lui qu’un souvenir confus. Tout ce que je me rappelle, c’est que c’était un petit vieillard alerte, toujours gai, qui me balançait très agréablement à une escarpolette attachée aux deux plus grands arbres de notre jardin, et qui me fit présent, au premier janvier 1803, d’un charmant petit fusil sur la platine duquel il avait gravé : Chesneau à son petit ami M. Henry.
    Ce digne homme s’éteignit doucement dans l’année qui suivit le
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