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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
Autoren: Henri Sanson
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cadeau qu’il m’avait fait. Je ne sentis point alors tout ce qu’il y avait d’enseignements dans cette destinée commencée à l’ombre du trône et terminée si près de l’échafaud ; mais depuis, j’ai bien souvent pensé à Chesneau et, les yeux fixés sur son petit fusil, je me suis demandé s’il serait possible de trouver une personnification plus fatidique des bouleversements révolutionnaires que cette existence qui débute par des hospitalités royales pour finir par celle du bourreau.

II - L’ABBÉ GOMART
     
     
    Après les anecdotes qui forment le sujet du chapitre précédent et que je n’ai pas cru dépourvues d’intérêt, je reviens à Jean-Baptiste Sanson et à l’intérieur de sa maison. J’ai parlé du comte de Charolais, de Chesneau ; il me reste à faire connaître un troisième personnage qui n’avait pas craint de former aussi avec mon bisaïeul une liaison si intime et si durable qu’elle s’étendit aussi à mon grand-père et ne finit qu’avec la vie de celui qui l’avait formée. Ce personnage est dom Ange-Modeste Gomart, de l’ordre des Récollets, abbé de Picpus.  
    A la fin du règne de Louis XIV et sous la Régence, il n’y avait guère que des docteurs en Sorbonne, comme je crois l’avoir déjà dit, qui accompagnassent les condamnés au supplice ; mais, sous Louis XV et Louis XVI, on se relâcha de cette habitude et on prit indistinctement dans les différents ordres religieux les ecclésiastiques qu’on supposa les plus propres à cette mission de suprême charité. Le vénérable père Gomart, par sa douceur évangélique, sa piété et l’onction de sa parole, se trouva tout naturellement désigné et ce fut lui en effet qui, pendant la plus grande partie du temps que mon bisaïeul et mon grand-père exercèrent, vint faire entendre au milieu de leurs exécutions, la puissante voix de la religion. Nul ne s’est acquitté, à ce qu’il paraît, d’une manière plus digne et plus efficace de cette noble tâche. La physionomie de ce saint religieux respirait la bonté, son éloquence était douce et persuasive, et souvent il lui arriva de toucher les cœurs les plus endurcis.
    Il n’avait certes rien moins fallu qu’un sentiment profond du devoir pour déterminer le P. Gomart à accepter un ministère qu’il n’accomplissait qu’au prix d’un héroïque effort sur lui-même. Souvent ses forces, étaient près de trahir son courage, dans ces lentes et cruelles exécutions où il devait se tenir près du patient pour essuyer la sueur que d’horribles souffrances faisaient monter à son front, et rafraîchir ses lèvres brûlantes de quelques gouttes d’eau. C’est toujours ce qui se présentait lorsqu’il s’agissait de cet abominable supplice de la roue que les arrêts du Parlement n’ordonnaient que trop fréquemment. Mon bisaïeul et mon grand- père s’apercevaient alors des angoisses du pauvre religieux et lui venaient en aide pour l’empêcher de défaillir. Un jour, ils le ramenèrent dans un désordre tel, qu’il lui était impossible de regagner la maison de son ordre et qu’il dut prendre un repos de quelques heures dans notre logis..
    Touché des soins affectueux qu’il y reçut, le bon Gomart surmonta l’horreur que lui avait peut-être secrètement inspirée la profession de ses hôtes ; il se confondit en témoignages de gratitude et prit, à partir de ce jour, en véritable affection ceux qui partageaient avec lui de si pénibles devoirs. Il venait souvent chez mon grand-père et finit par accepter, pour le vendredi de chaque semaine, un modeste diner qu’il voulait bien honorer et sanctifier de sa présence. Il avait lui-même choisi ce jour parce que c’était un jour maigre et qu’il serait plus assuré comme cela de n’être point exposé à enfreindre les règles de son ordre. Le fait est que le pauvre homme était d’une sobriété exemplaire et qu’on avait, à ce qu’il paraît, tontes les peines du monde à lui faire prendre autre chose que des œufs.
    Pourtant on assurait que le P. Gomart avait eu une jeunesse très orageuse et que la placidité de sa physionomie cachait une âme qui avait été fortement éprouvée par les passions. Il n’avait pris l’habit religieux qu’après avoir subi de ces chagrins qui désenchantent de la vie et noient le cœur dans une tristesse incurable. Sa mélancolie habituelle semblait confirmer toutes ces suppositions et lui donnait les apparences d’un Rancé,
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