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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
Autoren: Henri Sanson
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avait même retenu le numéro de la maison. A partir de ce moment, il se mit donc en sentinelle et guetta toutes les personnes qui sortaient de cette maison jusqu’à ce qu’il en eût aperçu une qui répondît à l’image qu’il s’était faite de la nièce de l’abbé Gomart. Son attente ne fut pas de longue durée. Dès le premier jour de cette observation, il vit dans l’après-dîner sortir une jeune fille dont la fraîcheur éblouissante, les yeux d’azur, les lèvres de corail, les dents de nacre et l’épaisse chevelure d’un admirable blond-cendré, faisaient une Vénus moderne douée d’une grâce et d’un enjouement que le ciseau de la statuaire n’avait pu donner à celle de l’antiquité. Cette jeune fille était accompagnée d’une suivante avec laquelle elle paraissait causer malicieusement, car la conversation était interrompue de temps à autre par ces éclats de rire frais et sonores dont la jeunesse paraît seule avoir le secret. Toutes deux se rendirent au jardin des Tuileries, où mon grand-père les suivit, en laissant entre elles et lui une distance qui lui permît de ne pas les perdre de vue sans s’exposer à trop attirer leur attention.
    Cette précaution n’eut pas tout le succès qu’il en espérait, car il paraît que la jeune fille et sa suivante, habituées sans doute à se voir l’objet du même manège, n’eurent pas plutôt fait trois à quatre tours dans les allées du jardin, qu’elles s’aperçurent très bien qu’elles étaient suivies. Loin de paraître s’en offenser, elles tournèrent à plusieurs reprises la tête en lançant du côté de leur mystérieux compagnon des regards plus provoquants que courroucés.
    Charles-Henry Sanson était, comme je l’ai déjà dit, un beau cavalier, toujours vêtu avec élégance et distinction, portant l’épée et le chapeau galonné avec une aisance qui sentait son parfait gentilhomme ; c’est sans doute à cet extérieur favorable qu’il dut de ne pas effrayer davantage mademoiselle Jeanne et sa compagne. Il se résigna donc à les suivre sans plus de mystère tout le temps qu’elles se promenèrent aux Tuileries et hors du jardin, jusqu’à ce qu’il les eût vues rentrer chez elles.
    Le lendemain il recommença comme de plus belle, mais sans les aborder non plus que la veille, ce qui n’avançait guère la conversion qu’il s’était proposé d’essayer. Il venait de les voir disparaître par la petite porte de leur maison, rue du Bac, et restait là planté sur le pavé, le nez en l’air, plongé dans de tristes réflexions sur le néant de l’éloquence humaine et la difficulté des œuvres de salut, lorsqu’il lui sembla que les rideaux d’une croisée du premier étage étaient légèrement soulevés et que la charmante tête de mademoiselle Jeanne se montrait curieusement derrière la vitre. Cette apparition ne le fit point broncher, et il chercha au contraire à exprimer par son regard combien il désirait que ce colloque muet eût un terme et que des signes on passât aux paroles. Soit que cet appel eut été compris, soit que la jeune personne désirât simplement savoir à quoi s’en tenir sur le but de cet énigmatique poursuivant, au moment où Charles-Henry Sanson avait encore les yeux fixés sur la fenêtre pour voir s’il n’apercevrait pas de nouveau Jeanne, il se sentit doucement tirer par le bras et vit la suivante qui lui faisait une profonde révérence.
    — Monsieur le chevalier, dit-elle en lui donnant un titre à sa façon, ma, maîtresse, mademoiselle Lançon, croit avoir remarqué que depuis deux jours vous vous attachez à ses pas comme si vous la connaissiez et aviez quelque chose à lui communiquer ; elle m’envoie vers vous pour vous demander de la tirer d’incertitude à cet égard et de vouloir bien lui faire dire ce que vous désirez d’elle.  
    Mon grand-père fut toujours d’un caractère assez résolu ; il ne se soucia pas de reculer, et répondit sans hésitation :
    — Il est vrai que je souhaite ardemment de pouvoir entretenir un instant votre maîtresse ; mais n’ayant pas l’honneur d’en être connu, je n’osais lui soumettre ma requête.  
    — Mademoiselle n’est pas invisible, reprit d’un ton important la suivante, elle est seule et libre de recevoir qui bon lui semble. Sous quel nom annoncerai-je le cavalier qui sollicite la faveur de lui parler ?  
    — Mon nom ne fait rien à l’affaire, car, je le répète, n’ayant point
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