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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
Autoren: Henri Sanson
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dans lesquels l’auteur de cette lettre, un écrivain bien connu, me proposait de faire la biographie du défunt, sont une preuve que ma piété filiale n’exagère rien dans l’hommage que je rends à sa mémoire.
    Ces réflexions trouvaient naturellement leur place à propos de Charles-Jean-Baptiste Sanson qui fut aussi particulièrement un homme de bien et de charité. Avant d’être atteint de la cruelle maladie qui devait l’affliger d’une vieillesse prématurée et lui faire chercher un refuge dans cette petite habitation de Brie-Comte-Robert, qui, depuis Sanson de Longval, n’avait cessé d’être la maison des champs de Messieurs de Paris, il avait mené avec une régularité édifiante cette vie active et utilement occupée dont j’ai plus haut tracé exactement l’emploi, rachetant ainsi par des œuvres de soulagement et de bienfaisance, les barbares exigences de son cruel métier.
    C’est dans une de ces soirées passées patriarcalement sur le seuil de sa porte, qu’il lui arriva de recevoir une visite singulière. Il y avait une sorte de légende accréditée depuis longtemps et qu’on faisait revivre par intervalles pour nouer un drame de plus dans l’enceinte mystérieuse de cette maison du bourreau, que la réprobation publique a toujours vue à travers le prisme des préjugés. Cette légende rapportait que le maître des hautes-œuvres, ayant trouvé un de ses fils convaincu d’un de ces crimes que la loi punit, aurait fait comparaître le coupable devant lui comme devant un juge, et enfin aurait lui-même mis à exécution sa propre sentence en donnant la mort à ce fils qu’il ne pouvait livrer à une justice plus régulière sans souiller son nom d’une tache déshonorante.
    La rigidité et l’austérité de Charles-Jean-Baptiste Sanson n’étaient pas moins connues que sa bienfaisance, et la haute opinion qu’on avait de lui sous le premier rapport pouvait contribuer à rendre vraisemblable cette belle fable sur un Brutus de l’échafaud renouvelant dans sa maison un des traits les plus héroïques du stoïcisme de l’antiquité.
    Aussi cette histoire légendaire revint-elle de nouveau sur le tapis et prit-elle en quelques jours les proportions d’un bruit public avant de venir jusqu’aux oreilles de mon bisaïeul, qui avait, du reste, passé dans sa jeunesse pour la victime de ce drame de famille. Cette seconde édition fit donc rapidement le tour de la ville et ne tarda point ensuite à courir les grands chemins jusqu’à Versailles. Peu s’en fallut que le roi Louis XV lui-même ne fit chercher une mauvaise querelle à mon bisaïeul pour cet acte de justice souveraine dans lequel on avait fait abstraction de cette noble prérogative des rois très chrétiens qu’on appelait le droit de grâce. Heureusement, le Sardanapale du XVIII e siècle n’avait accepté le récit que sous bénéfice d’inventaire, ce qui fit que sa voluptueuse indolence n’en fut point troublée. Mais quelques grands seigneurs et courtisans, beaucoup plus alléchés de drame que le monarque, eurent à cœur de savoir à quoi s’en tenir sur le sombre événement dont la maison du bourreau aurait été le théâtre.  
    C’est ainsi qu’un soir que Charles-Jean-Baptiste Sanson était modestement assis sur un des bancs de pierre placés de chaque côté de la grille de l’hôtel, il vit s’arrêter devant lui un brillant équipage armorié, d’où descendit un personnage aux traits fortement accentués et vêtu d’un élégant costume de cour.
    Ce personnage, sans daigner même soulever le chapeau à trois cornes galonné qui couvrait ses cheveux relevés en ailes de pigeon et saupoudrés d’un œil de poudre, s’avança en se dandinant vers mon bisaïeul et, l’interpellant à brûle-pourpoint, lui demanda s’il était vrai qu’il eût mis à mort un de ses fils coupable de vol.
    Charles-Jean-Baptiste haussa les épaules et se contenta de répondre :
    — En vérité, mon gentilhomme, permettez- moi de vous le dire, la question est au moins saugrenue. Croyez-vous donc qu’un père, qui aurait été assez jaloux de son honneur pour répandre lui-même le sang de son fils afin d’éviter la honte et l’infamie, serait ensuite assez insensé pour livrer un tel secret à la curiosité du premier oisif de cour qui viendrait l’interroger ?  
    Le visage de l’étranger se rembrunit :
    — Sais-tu bien, maraud, à qui tu parles ? reprit-il, je suis le comte de Charolais.
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