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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française
Autoren: Eric Zemmour
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des civilisations française et russe, explique que les « Français ont pris l’Antiquité comme un creuset bouillonnant de formes à imiter, allant de l’organisation d’une cité jusqu’à l’organisation stylistique d’un texte ». En d’autres termes, la civilisation française conserva les formes romaines pour permettre aux peuples barbares d’assimiler l’héritage gréco-romain. Méthode originale et toute conceptuelle, qui demande de s’imprégner des vestiges matériels qu’on trouve à foison en Gaule, routes, ponts, théâtres, arènes, temples, mais aussi rues, places, fontaines, et encore textes littéraires ou philosophiques, grecs et latins. « Cette imitation des formes antiques devint, un jour, l’essence même de la francité naissante. Et son histoire culturelle répéta, dans ses phases, cette quête initiale. D’où tous ses retours à la source gréco-romaine, toutes ses renaissances : carolingienne, puis celle du XVI e siècle, plus tard les rétrospectives classiques. Corneille, mieux que quiconque, a exprimé cette originelle référence de la francité : » "Si vous n’êtes romain, soyez digne de l’être." » Quand les héritiers rivaux privilégièrent la religion ou l’expansion territoriale, la France choisit l’État et la culture. Ce choix culturel, « gramscien » – Gramsci, ce révolutionnaire du XIX e siècle, fondateur du parti communiste italien, qui affirma que la victoire politique passait d’abord par la conquête culturelle des esprits –, détermina notre pays à jamais. Il explique – mais on y reviendra - notre manière unique d’assimiler les étrangers, à la mode romaine, à la fois hautaine et égalitaire. Il programme notre façon de « coloniser » les territoires un à un assemblés, après qu’ils eurent été conquis par des légions rigoureusement ordonnées, puis, par l’impressionnant rouleau compresseur : routes-villes-blé-vin-langue. Il justifie le choix paradoxal du bleu, couleur mariale pacifique comme emblème capétien, quand tous les grands rois de l’époque, l’anglais ou le germanique, préféraient le rouge sang du guerrier. Il éclaire notre fameuse autant qu’incomprise « exception culturelle ». Il fait fi des siècles. Il donne du temps au temps. Cette célèbre formule mitterrandienne s’applique parfaitement au projet capétien qui s’ordonne en siècles et non en années. Ce choix paraît incompréhensible à notre époque qui raisonne en jours, voire en secondes ; et trouble notre regard, qui confond lenteur et immobilisme, conquête très progressive d’un « empire » avec défense frileuse du pré carré.
    On prétend souvent – à droite comme à gauche, chez les monarchistes maurrassiens comme chez les républicains héritiers des Jacobins – que la France a inventé la nation irréductible à l’empire, qui se rattache encore, lui, au rêve de « monarchie universelle ». Certes, la centralisation française, la digestion lente de territoires conquis peu à peu, la défense vigoureuse par le roi et ses serviteurs de l’intérêt général, semblent construire un ensemble national cohérent et fort, qui s’oppose à l’ensemble baroque du Saint Empire romain germanique, aux territoires épars, aux régimes juridiques et politiques hétéroclites. Pourtant, cette vision me semble anachronique. Le roi de France était l’adversaire de l’empereur, pas de l’Empire. François I er fut candidat à la couronne du Saint Empire romain germanique – chaque mot compte ; et seul l’argent des Fugger, qui acheta nombre de roitelets allemands, donna les clefs de l’élection à Charles-Quint. Face aux prétentions du pape, le roi se voulait « empereur en son royaume ». Là aussi, chaque mot compte. On a vu que les juristes méditerranéens, héritiers de l’imperium romain, jusqu’à leur modèle abouti de Jean Bodin, ne s’embarrassèrent guère des libertés grecques ou de Sénat à la romaine. La souveraineté avant les libertés. Le choix français parut longtemps ridicule et présomptueux. Le pape imposait sa sacralité de chef des croyants ; l’empereur allemand, l’immensité de ses territoires continentaux ; et le soudard anglais mordait à pleines dents dans les terres grasses du Nord et de l’Aquitaine. « On ne détruit que ce qu’on remplace », dira un jour Danton. Longtemps, je crus que l’homme du 10-Août avait dit : « On ne remplace que ce qu’on détruit. » Jusqu’à ce
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