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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française
Autoren: Eric Zemmour
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tâtonnements, tergiversations, brouillons, revirements, Henri IV annonce la séparation de la religion et de l’État. L’édit de Nantes (1598) instaurait une sorte de cohabitation ordonnée : à chacun ses villes, ses places fortes, ses temples, où on pratiquait sa religion à l’abri des regards, des insultes et des menaces de l’autre. Une paix armée. Mais la règle d’or était fixée : la religion doit s’incliner devant le politique ; le sacré doit céder le pas devant la paix civile. Une « invention » inouïe : la loi de Dieu doit se soumettre à la loi des hommes. Les Français n’en étaient pas à leur première transgression : après la claque de Guillaume de Nogaret, il y avait eu l’alliance de François I er avec le musulman Soliman. Richelieu – un homme d’Église pourtant – ne fera pas autrement – pis ? – en s’abouchant avec ces « prétendus réformés » suédois ou allemands.
    La France, d’instinct, retrouvait ses vieux réflexes romains, d’avant le christianisme, qui acceptaient tous les dieux des peuples conquis à condition qu’ils respectassent l’autorité de Rome et de son empereur. Mais la liberté religieuse impliquait le refus absolu des enclaves autonomes qui voudraient imposer leur loi sur une partie du territoire : les Romains appelaient « imperium in imperio » ce que les Français traduisirent par « État dans l’État ».
    C’est le paradoxe français. Pour instaurer cette « paix des braves » religieuse, et la liberté confessionnelle, il fallut passer par le renforcement de l’autorité royale. Seule une « monarchie absolue » avec son faste impérieux, et sa machinerie administrative naissante, pouvait imposer aux adeptes des deux confessions le respect mutuel. La sacralisation de l’État et du politique s’avéra le remède français pour mieux désacraliser l’espace public et imposer la paix à des fois belliqueuses. On s’en rendit compte dès après la mort d’Henri IV. Mais le danger ne vint pas seulement d’où on a pris l’habitude aujourd’hui de regarder : les catholiques. Quelques années en effet après la signature de l’édit de Nantes (1598), les protestants se révélèrent volontiers intolérants, persécuteurs de catholiques ; fortifiant les places fortes qui leur avaient été réservées, ils rêvaient de s’ériger en République autonome à la hollandaise, levaient leurs impôts et leurs milices. À la même époque, la défenestration de Prague avait signé la sécession des États protestants de Bohême au sein de l’empire catholique des Habsbourg. L’assemblée de La Rochelle imitait en tous points l’exemple bohémien. Et, tandis que l’Allemagne se déchirait dans une guerre de Trente Ans, les protestants français ouvraient leur territoire à la marine britannique de Buckingham. Certes, Louis XIII et Richelieu sépareront toujours conflit d’État et guerre religieuse : mais le dynamisme idéologique de la contreréforme catholique jouait en défaveur des protestants. L’alliance des princes protestants du Nord retint sans doute Louis XIII sur le chemin funeste que prit son fils ; mais le siège cruel et héroïque de La Rochelle (la population de la ville passa de vingt-huit mille à cinq mille habitants !) sonnait le glas du protestantisme en France. À cette époque, où se constituaient les États modernes, on n’imaginait pas encore sortir de l’épure unitaire « une foi, une loi, un roi ». Lorsque Louis XIV abolira l’édit de Nantes (1685), il s’alignera sur le reste de l’Europe. C’en était fini – provisoirement – de l’exception française.
    La chute du bastion protestant de La Rochelle en 1628 avait signifié pour la France la fin des libertés municipales, des féodalités, bref, la fin du Moyen Âge, et l’entrée résolue dans la modernité de l’unité des nations et des États, alors que, partout en Europe, l’avènement du protestantisme avait marqué la naissance de la liberté et de l’économie de marché, bref de la modernité capitaliste, comme la rationalisera a posteriori Max Weber. Ce décalage français marquera notre pays, donnera à notre développement économique sa marque d’étatisme durable.
    C’est le fameux « retard français » stigmatisé par nos élites depuis trente ans, qui se lamentent sur notre incapacité à sortir de la tutelle de l’État, avec d’autant plus de vigueur qu’elles ont été formées dans le sein scolaire de la
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