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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française
Autoren: Eric Zemmour
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jusqu’au sud de l’Espagne. Le rêve de reconstitution de l’Empire romain ne pouvait plus se réaliser à l’identique. Rome n’était plus dans Rome, s’exilait dans les froidures d’Aix-la-Chapelle ; l’héritier chrétien de l’Empire d’Occident était décentré, décalage qui n’était pas sans rappeler celui déjà produit après la conquête de la Gaule par Jules César. Mais peu importe la géographie, pourvu qu’on ait la culture. Cette « renaissance » carolingienne s’opéra par un retour aux sources antiques, comme le montre Sylvain Gouguenheim, dans son livre Aristote au mont Saint-Michel , décrivant un Charlemagne et ses élites laïques et religieuses assoiffés de textes grecs et latins. Mais les luttes fratricides entre les héritiers de l’Empereur à la barbe fleurie détruisirent cette magnifique restauration impériale, et le désastreux traité de Verdun de 843 posa pour plus de mille ans une mortelle question : Qui des trois petits-fils, et des fils de leurs fils, rétablirait l’unité de l’Empire, ceindrait la couronne d’empereur d’Occident ? Le Français, l’Allemand ou le Lotharingien, l’homme des capitales (Rome, Aix-la-Chapelle) et des Alpes ?
    Cette question d’Occident – bien plus essentielle que la fameuse question d’Orient qui tarauda les chancelleries européennes de la fin du XIX e siècle – restera sans réponse pendant plus de mille ans. Elle causera guerres, massacres, conquêtes, désolations, génocides. Elle est l’alpha et l’oméga de notre histoire. On croit l’avoir réglée aujourd’hui. L’arrogance naïve des modernes est sans limites.
    Tel Sisyphe, le Capétien dut reprendre la tâche aux commencements. Ou presque. Il sera vite repéré, élu, par des grands juristes, venus du sud, des universités de Montpellier, imprégnés de droit romain, qui, désespérant de trouver le successeur de leur César bien-aimé, jetèrent leur dévolu sur le petit Capétien. Tous les Flotte, Nogaret et autres lui enseigneront au fil des siècles les règles d’or de l’imperium romain. Ils traduisirent l’antique : « La loi le veut » par : « Le roi le veut. » Leur champion mis sur le pavois fut mythiquement rattaché à la dynastie davidique, peut-être en raison de son combat contre Goliath. Il y avait en effet un décalage énorme entre la projection fantasmée par les juristes venus du sud et la puissance réelle du roitelet d’île-de-France. Peu importe. Ces lettrés inventèrent un christianisme gallican qui rejetait les prétentions politiques du pape ; l’un d’entre eux se rendit célèbre par le soufflet qu’il assena au souverain pontife avant de traîner son successeur dans sa prison dorée avignonnaise. Les prêtres dans leurs homélies et les scribes dans leurs écrits conférèrent la dignité impériale romaine au vainqueur de Bouvines : Philippe II devint Auguste. Lorsque, dans les dernières années de ce grandiose XIII e siècle français, les juristes de Philippe le Bel rédigèrent la lettre Antequam essent clerici , ils posèrent que le pouvoir laïc était à la fois extérieur et antérieur au pouvoir de l’Église et du pape. Alors, si on croit, avec Gibbon et son célèbre « Déclin et chute de l’Empire romain », que le christianisme fut la cause et l’agent principaux de la désintégration de l’Empire romain, celui-ci prenait une revanche éclatante par l’intermédiaire des légistes français. Pourtant, les moines s’allièrent à eux pour enseigner au roitelet que la France devait s’étendre jusqu’aux limites des trois Gaules de Jules César. La France est ainsi l’éternelle alliance de ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas. Mais il ne faut pas se méprendre : la foi chrétienne portée par les fils de Saint-Louis, guérisseur miraculeux d’écrouelles, unifiera pendant des siècles cet ensemble hétéroclite de fiefs moyenâgeux, liés entre eux par l’allégeance féodale au roi. Dès l’origine, cette monarchie fragile craindra la férocité arrogante des grands seigneurs ; elle cherchera l’alliance d’une bourgeoisie lettrée qui forgera sa grandeur avec des pièces conservées de la Rome antique tandis que la monarchie consolidée fera sa fortune.
    Dans un petit bijou passé inaperçu à sa parution, Cette France qu’on oublie d’aimer , Andreï Makine évoquait la figure du grand historien russe Klutchevski qui, comparant les conditions de la naissance
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