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L'immature

L'immature

Titel: L'immature
Autoren: Alain Garot
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milliers de fous qui nous ont précédés sur cette terre, à tous ceux qui se sont accrochés désespérément à des «broutilles» en s’imaginant qu'elles avaient de l'importance. Non, il n’y a rien à espérer sur cette terre où nous n’existons qu’en rêve ! À quoi bon faire de la peine à maman. Et puisque Freddy ne reviendra plus, et qu’on ne peut pas vivre sans son frère, à quoi bon ? À quoi bon ?
Des mois sans nouvelles. Un jour viendra, on fera comme pour le fils des voisins, tué en Indochine. On ramènera son corps dans un double cercueil. Il y aura une haie d’honneur de soldats en armes à la sortie de l’église, et puis un beau discours, une médaille peut-être. Mort au champ d’honneur, pensez donc! Et la Marseillaise, le beau drapeau de la mère patrie. Et maman, pauvre maman toute en noire, qu’on portera bien sûr à deux ou trois, parce que son chagrin sera trop lourd.
Ô bonne mère, je t’observe à présent ; et tu ne me vois pas parce que tu dors. Pourquoi dors-tu ce soir, alors que ce sont mes dernières minutes ?
— Maman ! ai-je dû murmurer à son oreille.
D’un bond maman s’est retournée vers moi. Elle a les cheveux sur les yeux, de pauvres yeux qui ne voient plus bien fort. Car je ne vous l’ai peut-être pas encore dit ; mais maman, lorsqu’elle était toute petite, a eu une paralysie faciale. Ce genre de mal ne vous dit sans doute rien ; cependant, c’est quelque chose qui l’a bel et bien estropiée pour le reste de ses jours... je ne vous raconte pas les détails. Maman m’observe, l’air inquiète... et il y a de quoi.
— Pardon, maman !
— Quoi ? dit-elle.
Mais elle le sait déjà. Dès ce premier regard qui vous pénètre le fond du cœur, elle a senti.
— Maman, je vais mourir.
Instinctivement ses yeux se portent sur l’armoire à pharmacie.
— Non...tu ne mourras pas, dit- elle.
Je l’ai souvent vue souffrir, ma mère ; mais dans les pires moments, je vous assure, elle n’a jamais perdu son sang froid. Du reste, moi je vous raconte mes misères, mais si vous connaissiez les siennes ! Personne ne peut imaginer ce qu’elle a dû souffrir avec son visage de travers. Enfant, surtout, elle était impitoyablement montrée du doigt. Oh ! Elle ne m’a jamais parlé de sa vie. C’est par Freddy que j'ai su ces choses. Et même qu’elle avait pensé à se faire bonne sœur.
Il en est qui disent - et je crois que mon prof de philo est de ceux-là - qu’on ne donne au bon Dieu que ce que le monde refuse. Je puis vous affirmer que maman, elle, aurait donné ce qu’elle a de plus beau : son cœur. Et je sais aussi que le bon Dieu n’aurait pas été déçu.
CŒUR !
Chose étrange que ce balancier autonome, source de vie que rien ni personne n’a jamais pu isoler dans aucun système et qui, pour survivre, doit se cacher partout comme un suspect.
Cœur qui ne peut plus battre parce qu’on l’étouffe : à l’école, dans la rue, partout.
Ma pensée, soudain, s’est assombrie. L’heure fatale va venir. Les deux grands bols de lait que ma mère me force à boire ne serviront à rien : il est trop tard.
— Ne pleure pas, va, lui dis-je encore. Je serai bien plus heureux comme ça.
Mais elle pleure quand même ; alors je continue :
— Cette vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
— Maurice, je t’en supplie…
— Je ne t’ai jamais rien dit, maman, mais j’ai trop peur. Le monde est méchant. Et moi, ce n’est pas de ma faute si je suis comme ça. Après tout, je n’ai pas demandé à venir au monde. Maman m’interrompt :
— Maurice, dit-elle, regarde-moi, regarde ta mère !
— Je n’en peux plus, maman, je veux mourir.
— Maurice, regarde-moi !
Elle a crié, hurlé peut-être : un balbutiement pour moi. À-demi inconscient, je me tourne vers elle.
— Maurice, regarde la « gueule » de ta mère !
Elle se tient debout devant moi, les cheveux tirés en arrière, les deux mains crispées sur son visage.
— Regarde ! Regarde ! insiste-t-elle.
Elle me montre son œil tout blanc, sa lèvre tordue, sa bouche de travers.
— Oh maman !
— Mon gamin, ça fait plus de cinquante ans que je la porte, cette gueule. Cinquante ans ! Et toi, beau comme tu es, tu ne veux plus vivre ?
Elle avait raison. Je n’étais qu’un égoïste. Mais j’avais trop mal.
— Tout me dégoûte, maman.
J’étais devenu très pâle. Tandis que maman me prenait la tête dans ses mains pour m’aider à vomir, Vautrin arriva en
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