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L'immature

L'immature

Titel: L'immature
Autoren: Alain Garot
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yeux. Une envie terrible de mourir m’a repris, pareille à celle de la veille au soir quand j’ai pris des cachets. Je suis à bout.
Soudain : bruits de gamelles.
— La soupe ! crie-t-on.
Comme un automate mon voisin enfile ses chaussons et je le suis jusqu’au réfectoire où je m’assieds, tout près de lui. C’est alors qu’arrive, dans un fauteuil roulant, un vieillard poussé par un infirmier. Tandis qu’on l’installe juste devant moi, je constate que ses mains tremblent très fort. Comme un bébé on va le faire manger à la petite cuillère. Puis, entre deux bouchées, on l’essuiera, tellement il bave et renvoie, par saccades, sa viande à peine mâchée.
Maman, si tu voyais ce désastre !
Du coup, je n’ai plus faim. Un Dindin n’est pourtant pas ce qu’il y a de plus « narreux » sur cette terre ; mais là, croyez-moi, j’ai eu envie de vomir.
    C’est seulement dans la soirée que j’ai compris l’énigme de mon voisin. Suzette, bien entendu, n’est pas une infirmière : il n’est ici qu’un personnel masculin. Suzette, ce serait sa mégère d'épouse. Et mon voisin a beau cogner tant et plus sur son lit, je suis absolument certain qu’elle ne lui répondra pas.
 

ET SORTIR DE L'ENFER
    Vêtu d’un beau costume bleu marine, le docteur est arrivé un peu avant l’heure prévue. Il a un collier de poils épais au menton et deux petits yeux gris qui vous fixent avec insistance.
Moi, il a dû voir tout de suite que j’étais nouveau et que je voulais mettre les voiles parce qu’il m’a appelé dans son bureau. En tremblant je suis entré.
— Assieds-toi, me dit-il.
Il a l’air compatissant. L’air seulement, après on verra. Je ne sais pas pourquoi, mais je devine assez facilement ce qui se cache derrière certains de ces regards ; et celui-ci ne me semble pas très catholique.
Je m’assieds ; un beau petit bureau acajou devant moi.
— Alors ? me demande le docteur.
Je l’observe. Que pourrais-je dire à un tel homme ? J’ai l’impression qu’il sait déjà ce que je pense.
— Tu as pris des cachets ?
— Oui, Docteur.
— Tu as donc vraiment voulu mourir ?
— Oui docteur.
— Sais-tu seulement ce que cela veut dire : mourir ?
Je m’attendais à d’autres questions, mais pas à celle-là. J’espérais aussi pouvoir demander ma libération. Hélas ! Il referme son dossier.
— Tu peux t’en aller, me dit-il.
Déjà ! Pas le temps de protester. Les infirmiers, toujours le sourire aux lèvres, me reconduisent dans ma chambre. Et je suis là maintenant, devant mon lit, muet d’émotion et de rage contenue. Quand sortirai-je ? Je réfléchis. Le couloir est désert. J’entre dans les toilettes où j’aperçois une petite lucarne. Je grimpe sur le WC ; mais je ne suis pas assez grand, il faudra que j’attende. Attendre qu’il fasse nuit pour entreprendre une évasion.
    Ce fut long, mais j’y suis. Le veilleur n’a rien entendu. Il fait noir. Aucun bruit. Encore un tout petit effort et je serai debout sur la table. Alors je saurai si, oui ou non, je passe par cette lucarne. Et voilà effectivement que ma tête pénètre par ce trou, ainsi que le haut de mon corps. Mais je suis un imbécile : je n’ai pas songé un seul instant à ce qu’il pouvait bien y avoir de l’autre côté. Dans le doute, je m’abstiens. Manœuvre inverse. Je m’en retourne, la tristesse au cœur. Hélas ! Arrivé à ma chambre, la lumière s’allume. Je sursaute et j’entends :
— Monsieur Dindin fait les valises?
C’est le veilleur de nuit, quelqu’un que je n’aime pas non plus et qui m’observe avec des yeux étranges.
Au réfectoire où je me suis vite réfugié, il y a bien de grandes fenêtres, mais elles ont toutes des barreaux. Reste la chambre de veille où je sais que les trousseaux de clés sont accrochés au mur. Avec un peu de chance et en agissant vite, peut-être tomberai-je sur la bonne ! Au hasard je saisis une grosse clé noire et me précipite vers la sortie. Mauvaise clé ! Je suis essoufflé. J'ai peur. Le veilleur va sans doute arriver. Seconde clé, puis troisième : la porte ne s'ouvre pas. Au dernier essai, le veilleur est là, moqueur, un superbe passe-partout entre les doigts.
— Prends-le, me dit-il, puisque c'est cela que tu cherches.
Mais je ne prendrai rien. J'ai trop peur qu'une fois près de lui, il ne me flanque une bonne raclée. Résigné, je regagne ma chambre où je m'effondre en sanglots sur le lit. On va venir, je le
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