Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
tombait bien, qu’elle n’avait pas reboutonné sa blouse de guingois après que le stéthoscope ait eu terminé son long trajet sur sa poitrine et son dos. Certaine d’avoir retrouvé son allure de respectable femme d’affaires, elle rejoignit le médecin.
    Celui-ci interrompit la prise de notes dans son dossier pour lui faire signe de prendre place en face de son grand bureau, sur une confortable chaise recouverte de cuir.
    â€” Madame Daigle, si tout le monde se révélait en aussi bonne santé que vous, ce serait la ruine de ma profession.
    Elle demeura un moment interdite, visiblement déçue, avant de plaider:
    â€” … Mais pourtant, ce n’est pas naturel, ne pas pouvoir avoir d’enfant!
    â€” Vous avez déjà une fille, je crois? Je pense vous avoir aperçue dans le quartier avec une jeune personne vous ressemblant beaucoup.
    â€” Oui, elle a douze ans. Aucune grossesse, depuis.
    Le médecin prenait des notes supplémentaires dans le dossier qu’il venait tout juste de créer pour elle.
    â€” Et vous faites tout pour que cette fillette se retrouve avec un frère, ou une sœur?
    â€” Avec enthousiasme.
    Virginie Daigle avait affiché un sourire. Davidowicz le lui rendit, constatant qu’en effet, avec cette femme de trente-cinq ans, grande et très mince, aux cheveux roux légèrement ondulés, coupés courts, les efforts redoublés pour avoir un autre enfant ne devaient jamais peser bien lourds sur les épaules de son conjoint. Quant à elle, elle se disait que les choses se passaient bien avec cet étranger. Devant un médecin canadien français, elle se serait sentie obligée d’exagérer sa timidité de crainte de devenir un sujet de conversation. La pruderie accablait ses compatriotes comme un carcan, même les choses les plus naturelles, comme les plaisirs conjugaux, devenaient tabous: il fallait affecter la plus grande indifférence à ce sujet, ou passer pour une femme de mauvaise vie.
    â€” Cette première naissance établit que ni vous ni votre époux n’êtes stériles, enchaîna le praticien après un moment. Je ne vois rien qui cloche avec vous. Votre mari ne souffre d’aucune maladie?
    â€” L’un de vos collègues l’a assuré récemment qu’il se porte très bien, sauf une toux récurrente qui le prend parfois. Le résultat d’une attaque au gaz, un souvenir de guerre. Mais à part cela, rien.
    Non, se dit-elle encore, cela ne tenait pas vraiment au fait qu’il fût un étranger. Sa façon d’écouter, la tête un peu inclinée sur le côté gauche, très attentif, visiblement prêt à recevoir toutes les confidences, l’incitait à la franchise. Puis il affichait cette élégance, ce langage châtié qui caractérisaient souvent les Juifs d’Europe centrale. Cette première consultation ne serait pas la dernière.
    â€” Je ne peux rien vous proposer, malheureusement, conclut-il après une nouvelle pause. La médecine connaît mal les mécanismes de la reproduction. Vous me semblez pouvoir donner naissance à d’autres enfants.
    Le visage de la jeune femme s’assombrit, elle baissa le regard, se mordit la lèvre inférieure. Un clignement d’yeux rapide laissa couler une larme. Un silence suivit, si long que le médecin jugea nécessaire d’ajouter:
    â€” Je suis désolé.
    Virginie secoua la tête, reprit son souffle avant de demander:
    â€” Est-il possible qu’une maladie vénérienne rende stérile?
    â€” … Je n’ai rien vu chez vous qui me permet de croire…
    â€” J’ai lu que les symptômes peuvent être tout à fait absents.
    Une interruption, à nouveau, avant que Davidowicz ne convienne:
    â€” Cela peut se produire, en effet. Avez-vous des raisons d’imaginer cela?
    â€” J’y ai fait allusion, mon mari a fait la guerre. J’ai bien peur que les visites aux prostituées n’aient fait partie des usages. Puis nous ne nous sommes connus qu’en 1925. Je ne suis pas naïve au point de penser avoir été la première…
    Sa voix avait perdu toute assurance. Quand ses yeux se fixèrent encore une fois sur ceux du médecin, elle éprouva le sentiment que son interlocuteur n’était pas tout à fait dupe de cette présentation
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher