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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage
Autoren: Jean-Pierre Charland
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verts.
    Son vis-à-vis rougit un peu avant de dire:
    â€” Je sais, je suis terriblement impoli. Mais je devrai retourner à Ottawa dès lundi matin pour la suite des travaux parlementaires. Croyez cependant que je gâcherai la journée de votre époux pour un motif très noble.
    â€” Je suppose qu’il ne vous en voudra pas trop de mettre en danger le salut de son âme. Je vous ai donné notre adresse tout à l’heure.

    La grande femme rousse qui tourna le coin de la rue Davaar pour poursuivre sa route dans la rue Bernard avait un mouvement des hanches plutôt suggestif. Placé en contre-jour, le soleil découpait délicieusement sa silhouette: la mi-trentaine, mince, aucune trace de grossesse n’alourdissait sa ligne. Renaud Daigle accéléra le pas jusqu’à la rejoindre, murmura au moment où il arriva à sa hauteur:
    â€” Madame, vous montrez certainement les plus jolis mollets du monde! Et ce que je vois de vos jambes à travers la robe, avec cette lumière complice, m’incite à croire qu’elles sont comparables au reste.
    La surprise fit un peu sursauter Virginie, toujours pensive après avoir quitté le cabinet du médecin. Un moment, elle donna l’impression d’une gamine prise en flagrant délit d’école buissonnière, puis se reprit pour dire en se retournant:
    â€” Monsieur, le printemps a sur vous un effet dévastateur.
    Tourné à demi, son visage offrait une multitude de taches de rousseur qui, sous le soleil, paraissaient des paillettes dorées. Si les lèvres se faisaient sévères, ses yeux verts indiquaient tout autre chose. Elle leva la main pour s’assurer que son chapeau de paille demeurait bien en place.
    â€” Cela te dirait de prendre un verre à une terrasse? proposa-t-il après une seconde d’hésitation. Ou peut-être dois-tu accourir au cinéma?
    Renaud Daigle, son époux, portait bien ses quarante-cinq ans. Grand, encore relativement mince, il paraissait bien dans son costume de lin gris, coiffé d’un panama. Au moment de quitter la maison ce matin, le soleil radieux l’avait convaincu de mettre ses lunettes teintées de vert, un peu pour forcer ce temps estival à s’installer définitivement.
    â€” En vérité, confia-t-elle, je me disais qu’il faisait trop beau pour retourner travailler tout de suite.
    â€” Tu me déçois! Je croyais que tu étais l’employée exemplaire, prête à peiner dix heures par jour alors que je te paie tout juste pour sept.
    â€” Je dois me laisser influencer par ton exemple. C’est comme cela que tu fais le professeur? Ne devrais-tu pas crouler sous les corrections, dix bons jours après la date à laquelle tu devais remettre les résultats à l’université? Des dizaines d’étudiants se languissent de savoir s’ils connaissent suffisamment le droit constitutionnel pour poursuivre leurs études et toi, tu veux te prélasser au soleil.
    â€” Je me sentais incapable de travailler dans la chaleur moite de mon petit bureau. Puis j’ai encore à réviser des textes pour Ottawa.
    Tous deux prirent place à la terrasse du Café Pierre , commandèrent chacun un verre de vin blanc tout frais. La rue Bernard demeurait animée, même si tout le monde aurait dû, en ce début d’après-midi, se trouver au travail ou vaquer à des tâches ménagères. Pendant un moment, ils eurent l’impression de reculer de treize ans, alors qu’ils découvraient le plaisir de la vie commune. Des terrasses comme celles-là avaient abrité de longues conversations, peu après leur mariage. Un instant, la jeune femme lui caressa la cuisse sous la table, puis elle s’arrêta tout d’un coup:
    â€” Tout de même, je vais m’arracher à ton charme puissant et retourner au travail. Tu as toujours l’intention de présenter ta princesse au roi?
    â€” Cela se limitera à le voir de loin, si nous avons de la chance.
    â€” Avertis Julietta, et donne-lui le reste de la journée. Je rentrerai un peu plus tard que d’habitude.
    â€” J’y cours de ce pas, avant qu’elle ne se mette à ses fourneaux. Je cueillerai la seconde rouquine de ma vie à la sortie de l’école. À cause de la visite royale, la classe s’achèvera dans quelques minutes.
    Sur ces mots, la
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