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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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du foyer.
    — Cela m’arrive, en effet. Comment l’as-tu deviné ?
    — Je ne pourrais pas vivre comme cela, soupire Touvenel.
    — J’ai parfois bien du mal moi-même, réplique Stranieri. Mais peut-on se perdre tout à fait, quand on est conduit par la recherche de la vérité ?
    Le chevalier s’apprête à le pousser plus loin dans ses retranchements, quand une rumeur leur fait lever la tête et se retourner. Le légat Castelnau vient de sortir de sa tente et considère la foule rassemblée autour des feux. Il semble chercher quelqu’un des yeux. Comme il ne le trouve pas, il appelle au hasard :
    — Stranieri ! Stranieri est-il là ?
    Stranieri se lève.
    — Je suis là, monseigneur.
    — Peux-tu me rejoindre ? J’ai à te parler.
    Du cercle de jeunes qui entoure Amaury, une pierre vole soudain dans la direction du prélat. Elle rate heureusement sa cible. Castelnau, sans en paraître effrayé le moins du monde, fait face à l’obscurité :
    — Voilà bien tout ce que vous savez faire ! Jeter des pierres dans le noir à vos adversaires !
    D’autres cris lui répondent :
    — Prélat corrompu !
    — Fourbe ! Faux prêtre !
    Malgré les pierres lancées dans sa direction, Castelnau reste immobile comme une statue, indifférent au danger. Ses gardes s’en mêlent et se précipitent vers les agresseurs. Des coups sont échangés. La bagarre s’étend. Castelnau est soudain atteint à l’épaule. Il titube sous le choc, mais veut se montrer bien droit pour rentrer dans sa tente. Un jeune homme armé d’un pieu se rue alors sur lui. Stranieri l’aperçoit. Il se précipite pour arrêter son geste en criant :
    — Non !
    Le cri fait se retourner le légat. Le pieu du jeune homme se fiche dans sa poitrine. Castelnau vacille, l’air incrédule et s’écroule dans les bras de Stranieri qui est accouru.

26.
    De profundis clamavi ad te, Domine : exaudi vocem meam. Fiant aures tuae intendentes in vocem deprecationis meae…
    Les torches brûlent dans la nuit, tenues à bout de bras par un double rang de gardes devant la dépouille mortelle du légat du pape revêtue de ses plus riches habits sacerdotaux or et pourpre. Il gît sur une simple planche de bois posée à même des tréteaux. Les moines noirs, porteurs de chandelles, et les membres de la suite de Castelnau, rassemblés autour du corps, psalmodient à voix basse la prière des morts.
    Stranieri, un peu en retrait, la bouche crispée, est le seul à ne pas remuer les lèvres, le seul aussi à ne pas se recueillir. Il regarde sans émotion frère Dominique bénir le corps, tandis qu’un prêtre asperge d’eau bénite le cercle des récitants. Au moment où le goupillon va s’abaisser vers lui, l’espion du pape se dérobe brusquement et quitte la cérémonie mortuaire.
    Plus rien ne bouge dans le camp. Catholiques ou cathares, pourchassés par les gardes, ont fui dans la nuit. Stranieri n’accorde qu’une moue de mépris au jeune assassin encordé à un poteau, étroitement encadré par quatre gardes. Malgré l’obscurité, il sent dans les yeux du jeune homme briller les lueurs d’un orgueil imbécile. « Le jour où les certitudes triomphent, l’humanité est décidément perdue sans recours », songe l’espion du pape en s’éloignant.
    Toute la nuit, il erre sans but et sans espoir. Au petit jour, à sa grande surprise, il tombe sur Touvenel et Constance, tendrement enlacés près du bras du petit Rhône, savourant ce moment de bonheur avec l’innocence de jeunes amoureux. Cette vision l’émeut. Tous les mouvements de l’individu et de l’humanité ne servent-ils donc qu’à cela, au bout du compte ? Aussi longtemps que la vieillesse ne les a pas diminués jusqu’à n’être plus que des existences quasi minérales, les hommes et les femmes ne cessent de courir à la recherche d’un compagnon ou d’une compagne. À cette constatation, des larmes lui viennent presque aux yeux. Sombrerait-il dans la sensiblerie, avec l’âge, ou Platon serait-il dans le vrai, lorsqu’il raconte que Jupiter, dans les temps où les hommes étaient androgynes, irrité par leur orgueil, les aurait fendus en deux comme des soles, les obligeant à courir inlassablement après leur moitié ?
    Avec leur permission, il s’assoit un instant à leur côté sur la berge et regarde le flot descendre vers la mer en songeant que chaque chose porte décidément en elle son contraire. Ainsi, ce bras d’eau à la fois si calme
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