L’ESPION DU PAPE

se fait à la surface de l’eau. Entraîné par des tourbillons, le pendentif à la pierre de jade disparaît, ne laissant à la surface qu’un cercle de vaguelettes. Touvenel rouvre les yeux et frissonne. Un vent se lève de nouveau, l’amorce cette fois d’un mistral qui balaiera la région pendant trois, six ou neuf jours, Constance lui caresse tendrement la nuque.
    — Ne tremble pas, mon aimé. Le mauvais vent est passé à côté de nous. Des vents, il en existe de toutes sortes. Celui qui rend sec et nerveux, comme celui-ci. Mais aussi le vent du plaisir, qui chauffe la moelle. Et d’autres, de grands vents en liesse, je te promets de te les faire connaître tous.

ÉPILOGUE
    Deux ans plus tard, à Rome, par un matin ensoleillé et chaud du début juillet 1209, dans un scriptorium du palais du Latran, une main court sur un parchemin.
    L’assassinat du légat du pape Pierre de Castelnau eut lieu en ce 14 janvier de l’an 1208. J’éprouvai une certaine peine à ce que les tourments de vessie de ce brave homme aient été réglés de manière aussi expéditive. Deux mois plus tard, notre Saint-Père Innocent III appelait à la croisade. Mais nos armées catholiques, commandées par les barons et comtes de Philippe Auguste, roi des Franciens, mirent encore plus d’une année à se constituer, et ne purent passer le Rhône qu’au mois de juin de l’an 1209. Souhaitons que, tirant les leçons du passé, elles sachent modérer les ardeurs de leurs soldats du Christ et agir contre l’hérésie avec sagesse et modération .
    Stranieri trempe sa plume d’oie dans l’encrier de son écritoire et continue de tracer ses élégants caractères dans le manuscrit où il a décidé de relater ses aventures pour l’édification de ses élèves.
    Tel est l’ost de la croisade, ni plus pure ni plus indigne que toute autre armée de la chrétienté, mais comme elles toutes excitée par l’aubaine qui s’offre : une conquête ordonnée et bénie par notre sainte Église de Rome. Le regret me prend à la pensée que le roi de France Philippe n’ait accepté ce que j’étais venu lui proposer que dix-huit mois plus tard. Je me serais sans doute évité bien des mensonges et des combinaisons s’il avait agréé plus tôt ma requête. Mais je n’aurais pas rencontré ce fameux chevalier, ni sa sauvageonne Berbère, ni sa charmante compagne Constance. Que vont-ils devenir, si l’affrontement devient trop sanglant ? Et moi, de quelles autres aventures notre Saint-Père voudra-t-il encore me charger, après toutes celles que j’ai déjà vécues ?
     
    Ce que Stranieri n’eut pas le loisir d’écrire, c’est que la guerre ne dura pas deux mois tout au plus, comme le pape l’avait prédit, mais trente-cinq ans. Qu’elle ravagea les pays de Languedoc, causa des milliers de morts et détruisit tous les châteaux cathares. Montségur, le dernier d’entre eux, tomba en mars 1244. Ses deux cents défenseurs, plutôt que de renier leur foi, préférèrent se jeter tous ensemble dans le même bûcher.
     
    Paris, Chinon, Saint-Savinien,
    juin 2006 – février 2009