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Néron

Néron

Titel: Néron
Autoren: Max Gallo
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PROLOGUE
    J’ai survécu à Néron.
    Et chaque jour je m’interroge : pourquoi ai-je été épargné ?
    Mes proches, les citoyens de Rome que j’estimais le plus, Sénèque dont je fus l’élève et l’ami, qui prêchait la clémence, ont été égorgés ou empoisonnés, contraints au suicide.
    Mon maître Sénèque a ainsi reçu l’ordre de mourir, comme bien d’autres. Il s’est ouvert les veines des bras et des jarrets. Et parce que le sang s’écoulait trop lentement, il est entré dans une étuve afin que la chaleur l’achève.
    Ses frères, ses amis ont été eux aussi condamnés.
    Moi, j’ai vieilli, survivant de ces années souillées par le crime.
    Néron est mort, puis les trois bouffons Galba, Othon et Vitellius qui se sont disputé sa succession en l’espace d’une seule année.
    Mais Vespasien et son fils Titus, qui ont recueilli l’héritage impérial, sont morts aussi.
    Et j’écris ces mots alors que règne son second fils, Domitien.
    Aujourd’hui je vis retiré dans la villa de ma famille, à Capoue. J’arpente chaque matin l’allée qui conduit du vestibule de ma demeure jusqu’aux vergers qui s’étendent vers les collines.
    Je m’assieds face à la colonnade de marbre et de porphyre qui entoure ma villa.
    Et la question revient, qui me tourmente : pourquoi ai-je été épargné ?
    Certains jours je m’accuse, je m’accable.
    Les autres, ceux qui sont morts, affichaient leur orgueil, leur courage, leurs opinions, leurs ambitions, leurs haines, leurs amours et leurs amitiés.
    Je me souviens de cette femme, Épicharis, une affranchie, mariée au frère cadet de Sénèque. Elle voulait soulever la flotte de Misène contre Néron. Dénoncée, arrêtée, elle fut un jour durant torturée, écharpée, disloquée sans que le nom d’un seul de ses complices franchisse ses lèvres, et au deuxième jour, pour échapper à ses bourreaux, elle s’étrangla.
    Je me souviens de ces disciples de Christos, qu’on appelle chrétiens et que Néron a massacrés par centaines au lendemain de l’incendie de Rome.
    Certains furent jetés aux fauves, d’autres entassés sur des bûchers, d’autres encore crucifiés, leurs corps couverts d’huile, de poix et de résine, puis embrasés afin que ces atroces flambeaux éclairent les jeux qui se déroulaient dans les jardins de Néron.
    Et j’ai entendu certains de ces hommes et de ces femmes chanter pendant leur agonie.
    Ma vie, je le sais, n’est que piécette de cuivre ou de bronze, comparée à l’or et à l’argent de ces vies-là.
    La prudence a été ma conseillère, le silence ma règle, la lâcheté mon armure. Mais, à beaucoup, cela n’a pas suffi.
    Et cependant, j’ai été épargné. Pourquoi ?
    Depuis que j’ai quitté Rome, les visages de ceux que j’ai connus viennent peupler mes journées.
    J’ai voulu d’abord savoir qui était ce Gaius Fuscus Salinator, mon ancêtre, qui fit construire cette demeure au temps de la République, alors qu’il était préteur de Crassus et proche de César.
    J’ai découvert le livre qu’il a écrit à la fin de sa vie. Lui aussi s’était retiré dans ce domaine de Capoue.
    C’est une Histoire de la Guerre servile de Spartacus.
    J’y ai appris avec effroi que Crassus avait fait crucifier, le long de la via Appia, entre Capoue et Rome, six mille esclaves faits prisonniers après la mort de Spartacus et dont il n’avait préservé la vie que pour mieux les supplicier.
    Il fallait qu’il ne restât de la guerre de Spartacus que ce souvenir d’un implacable et effrayant châtiment, afin que plus jamais une révolte d’esclaves ne vienne menacer Rome.
    Mais mon ancêtre Gaius Fuscus Salinator a fait revivre dans son Histoire de la Guerre servile Spartacus et ses proches, ce guérisseur de Judée, Jaïr, ce philosophe grec, Posidionos, cette prêtresse devineresse de Dionysos, Apollonia. Et, le lisant, j’oublie le châtiment de Crassus.
    Je me suis souvenu de la dernière lettre que j’avais reçue de Sénèque et qui se terminait par ces phrases :
     
    Sache, Serenus, que tout ce que nous laissons derrière nous appartient à la mort, hormis notre pensée. Et ce que nous avons pu écrire sur nos tablettes et nos papyrus renaît dès qu’un lecteur le lit.
    Songes-y, Serenus, la connaissance est toujours naissance.
     
    Sénèque m’a appris l’humilité. Et j’ai dit ce que je pensais de ma vie. Mais, puisque j’ai été épargné, je dois faire renaître ces
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