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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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et avait l’impression d’être un petit enfant tombé nu dans la neige. Il fit quelques pas et s’en trouva déjà épuisé. On avait dormi trop peu de temps, dans de trop mauvaises conditions et avec la peur de ne pas se réveiller. Il entendit des cris et des pleurs. Des soldats, à bout de forces, s’étaient endormis à même le sol et leurs visages étaient maintenant collés à la neige. D’autres avaient les joues et le nez gelés et de larges lambeaux de peau glacée se détachaient de leurs faces. Quelques personnes vinrent à leur secours, mais peu, en somme. Il y avait eu tant d’horreurs, on craignait tant pour soi-même que l’insensibilité régnait désormais. Le bivouac était couvert de morts. Des gens s’activaient autour d’eux en espérant trouver de la nourriture – pure illusion – et pour récupérer les habits. Tandis que Margont passait près d’une victime qu’un fantassin dépouillait de son pantalon, il entendit murmurer : «  Mein Gott. »
    — Il est encore en vie ! lança-t-il.
    Mais le fusilier persistait à tirer sur le pantalon auquel s’accrochait l’Allemand, un Wurtembergeois d’après la forme de son casque à chenille noire.
    — Il est quasiment mort, rétorqua le pillard.
    — Toi aussi si tu continues, avertit Margont en lui appliquant le canon glacé de son pistolet contre la tempe.
    Le fusilier s’éloigna à reculons, sa baïonnette à la main car il avait jeté son fusil. Le Wurtembergeois était trop faible pour se relever. Margont fit un signe à des artilleurs wurtembergeois qui se lamentaient d’avoir dû abandonner leurs canons à Smolensk, faute de chevaux pour les tirer. Ils parlaient de ces pièces comme d’êtres humains. Lorsqu’ils évoquaient le moment où ils les avaient enclouées – ce qui consistait à enfoncer des clous dans leur lumière pour les rendre inutilisables par l’ennemi –, ils en avaient les larmes aux yeux. Les Wurtembergeois s’avancèrent avec méfiance, mais se précipitèrent au secours de leur camarade dès qu’ils l’aperçurent.
    Lefine s’approcha de Margont.
    — Je ne sens même plus le froid ! clama-t-il joyeusement.
    Pourtant, il grelottait depuis presque une semaine.
    — Courage, on va s’en sortir, Fernand !
    — Mais bien sûr, tout le monde va s’en sortir ! Justement, à ce propos, Pirgnon aussi va s’en sortir.
    — Non, pas lui.
    — Parce que avec tout ce qui se passe, vous croyez encore à une justice divine ? Il est colonel, donc il mange bien mieux que nous. Un de ces jours, il enjambera nos cadavres en riant.
    Margont tentait de placer ses pas dans les traces devant lui pour ne pas s’épuiser inutilement à remuer des tas de neige.
    — Mon enquête est bloquée pour l'instant, mais...
    — Quel mauvais perdant ! Pirgnon nous a eus, il nous a eus, c’est tout.
    — La partie n’est pas finie.
    Lefine désigna un monticule de corps recouverts de neige. Des hommes s’étaient tassés pour se réchauffer, mais avaient finalement gelé en bloc.
    — Je suis sûr que, même congelé comme ceux-là, vous croirez encore à la victoire. Ah, l’Empereur devrait vous prendre dans sa Garde, tiens ! On va tous crever, oui ! D’ailleurs, vous savez à quoi je pense ? Eh bien, il y a tellement de gens qui meurent durant cette retraite de malheur que ça pourrait bien arriver à Pirgnon. Un coup de feu dans un bois – un cosaque, bien sûr ! – et terminé, plus de Pirgnon. Un cosaque qui serait aussi bon tireur que moi, par exemple.
    Margont frémit.
    — Non, Fernand.
    — Vous avez dit quelque chose, mon capitaine ?
    Avec toute cette neige que j’ai dans les oreilles, je n’entends plus rien.
    — Tu as très bien entendu.
    — Pourquoi ? Parce que c’est mal de tuer un assassin ?
    Margont s’arrêta et se tourna vers son ami.
    — Parce que ça n’a pas de sens ! Ce serait absurde de devenir soi-même un meurtrier pour anéantir un criminel.
    — Comme c’est beau et bien dit. Encore une belle idée à exposer dans un livre.
    — Il y a une autre raison. Tu le raterais sûrement – d’autant plus que tu frissonnes sans cesse, comme toute l’armée. Mais son escorte, elle, ne te manquerait pas. La neige ralentirait ta fuite : ses hommes te rattraperaient ou n’auraient qu’à t’ajuster pendant que tu pataugerais sur place dans une congère.
    Des volutes et des volutes de buée s’échappèrent de la bouche de Lefine.
    — Si Pirgnon avait
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