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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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armes ! hurla Lefine en brandissant son fusil en direction du vacarme.
    Des bosses s’agitèrent sous la neige et des formes blanc et noir se redressèrent pour se changer en hommes assis qui cherchaient leurs fusils. Il y eut quelques coups de feu qui créèrent de fugitifs halos dans le bois, des éclats de rire et puis plus rien. C’était le troisième simulacre d’attaque de la nuit.
    On tenta de se rendormir. Le silence était troublé par le sanglot d’un soldat et le murmure de l’un de ses compagnons qui essayait de le calmer. Lefine avait faim à hurler, à tuer. Il rongeait une racine. Elle n’était pas comestible, mais, de toute façon, ses dents ne parvenaient pas à l’entamer. C’était juste pour avoir quelque chose dans la bouche, pour faire semblant de manger et faire semblant d’y croire. La veille, il avait fait chauffer de l’eau dans laquelle il avait plongé deux chandelles de suif et une ceinture en cuir. Les bougies avaient fondu dans ce jus infect et la ceinture avait donné un vague goût de viande. Ses amis et lui avaient ensuite mâchouillé interminablement des bouts de ce cuir bouilli. Un jour sur deux, ils ne mangeaient rien s’ils n’avaient pas trouvé de cheval mort. Un jour sur deux, chacun avait droit à une pomme de terre ou un bout de galette que Margont préparait avec de la farine et de la neige. Ce « repas miraculeux » ne serait bientôt plus servi qu’un jour sur trois. Leurs deux montures avaient péri et avaient aussitôt été dévorées par tous, excepté Piquebois. Parfois aussi, ils se régalaient d’une petite marmite de sang de cheval. Cette espèce de soupe de boudin leur redonnait des forces. Lefine préparait ce plat, la cuillère en bois dans une main et le pistolet dans l’autre. En effet, une fois, des affamés s’étaient jetés sur lui et sur sa marmite. Dans la bousculade, tout avait été renversé. Heureusement, les glaçons de sang de cheval étaient également très appréciés.
    Une silhouette enroulée dans une couverture traversa le campement.
    — Allez debout ! On se remet en marche, clama-t-elle.
    Des soldats se relevèrent péniblement, engourdis et épuisés, et s’ébrouèrent. Beaucoup avaient jeté leur fusil, soit pour s’alléger, soit en raison de l’absence de gant qui rendait insupportable le contact du métal glacé et de la peau. Les débris des régiments avaient fusionné. A eux s’étaient joints des égarés. On apercevait ainsi des cuirassiers démontés, des Bavarois, des Westphaliens, des Wurtembergeois, des Saxons, quelques vélites à pied ou « à cheval, mais sans cheval » de la Garde napolitaine, une poignée de Polonais... Bon nombre de soldats étaient accoutrés de telle façon qu’on ne pouvait dire à quels régiments ils appartenaient. Ils portaient des manteaux civils, des pelisses de femme, des tuniques bariolées passées par-dessus leurs capotes, des vestes en cachemire, des peaux d’ours, des draps et des rideaux taillés en vêtements, des robes, des robes de chambre...
    Margont se redressa, épuisé, affamé au-delà de toute expression et étonné de ne pas être mort. Son enfance s’était déroulée dans des régions qui voyaient rarement la neige et dont la canicule, l’été, donnait l’impression que la garrigue brûlait sans se consumer et que l’on avançait dans une mer de flammes invisibles. Ce climat l’avait rendu très résistant à la chaleur, mais avait aussi fait de lui un frileux. Sans sa prévoyance naturelle aiguillonnée par ses lectures sur la Russie, il serait tombé depuis longtemps, poignardé par les premiers flocons. Il portait des bas de soie, des bas de laine, un caleçon, un pantalon en velours, une chemise en soie, deux gilets dont un en cachemire, une veste rembourrée et un volumineux manteau fourré dont le col en hermine lui cachait la moitié du visage tandis que les pans en traînaient à terre. Il avait également une cagoule en laine, une toque et une double paire de gants qu’il plongeait dans un manchon en renard. Ses pieds étaient recouverts de plusieurs couches de bas et de chaussettes et protégés par des bottes en peau d’ours. Gêné par toutes ces strates qui faisaient de lui une sorte de fossile, il ressemblait à un épais titan maladroit. Seule son épée à la taille indiquait qu’il s’agissait d’un militaire, ainsi que ses épaulettes, qu’il avait cousues sur son manteau. Malgré tout cela, il claquait des dents
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