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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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apparition. C’en était probablement une, d’ailleurs. Il s’agissait d’un major à la tenue irréprochable, pantalon et gants immaculés. Il était jeune et furieux.
    — Soldats, on nous canonne ! Réagissez ! Êtes-vous des militaires ou des lapins ? Baïonnettes aux canons, tous avec moi !
    Il disparut en caracolant en direction des batteries ennemies qui tonnaient tant et plus.
    — C’était qui çui-là ? interrogea un soldat emmitouflé dans une série de châles.
    — Le fantôme de la Grande Armée, répondit une silhouette. Celui qui nous hante tous.
    Fanselin se remit à parler. Margont n’entendait presque plus sa voix. Ses lèvres, soudées par la glace, et ses jambes le faisaient odieusement souffrir. Elles étaient si lourdes à soulever qu’il les regardait souvent, persuadé qu’elles avaient accroché quelque chose. Il les sentait enflées et gorgées de douleur. Parfois, cette douleur explosait en des milliers de fourmillements. C’était à la limite du supportable, car cela évoquait pour lui la mort et la dévastation par les vers. Il y avait pire encore : il lui arrivait en effet de ne plus du tout sentir ses membres inférieurs. Comme s’il était devenu cul-de-jatte et que ses jambes appartenaient à quelqu’un d’autre. Alors il extrayait les mains du fin fond de son manchon et frappait avec frénésie ses cuisses pour réactiver la circulation. Lorsque la douleur revenait, il retrouvait enfin son intégrité corporelle. Il regardait avec envie ceux qu’on transportait sur des charrettes ou des affûts de canon. Mais le repos se révélait un piège. La mort venait en silence. Le froid engourdissait peu à peu les consciences et les passagers sombraient dans un sommeil agréable dont ils ne se réveilleraient pas. Le choix était simple : marcher ou geler.
    Margont pensait fréquemment à son enfance ou à certains moments de sa vie. Il se remémorait en particulier la naissance de son amitié avec Piquebois car il avait failli mourir ce jour-là. Piquebois, alors en pleine période hussarde, l’avait aperçu en train de lire alors que lui-même sabrait des citrouilles fichées sur des pieux et coiffées de casques autrichiens. Piquebois, le sabre à la main et probablement à court de citrouilles, l’avait traité de « puceron grimoirophage ». Il n’aurait été que trop heureux de voir le « bibliothécaire d’infanterie » dégainer son épée. Mais Margont lui avait répondu que sa lame ne lui servait que de coupe-papier, pas de coupe-hussard français. Piquebois avait éclaté de rire avant d’entraîner Margont dans une beuverie qu’il aurait été dangereux de refuser. Cependant, ces souvenirs étaient plutôt de mauvais augure. Lorsque l’on arrive à la fin d’un voyage ou d’un projet qui fut long à aboutir, on repense souvent à ses débuts. Margont avait l’impression que son esprit passait une dernière fois sa vie en revue avant de sombrer doucement dans l’assoupissement...
    Lefine tomba un peu plus loin. Margont plia les genoux pour s’accroupir, ce qui lui causa une douleur intense, comme si la saillie des muscles de ses cuisses avait déchiré sa peau glacée. Il voulut ôter le havresac de son ami, mais fut surpris par son poids. Il l’ouvrit et découvrit des lingots d’argent, des bijoux et de la vaisselle en or. Il se mit à le vider. Lefine, gémissant, tendit la main et ramassa avec peine une tabatière en or qu’il fourra dans l’une de ses poches. Mais Margont en jetait davantage que lui-même en récupérait.
    — Je t’ai laissé les bijoux sinon, tu serais fichu de rester ici, déclara Margont à voix basse, car il était à bout de souffle.
    Lefine se relevait avec l’aide de Saber et de Fanselin lorsque retentirent de grands cris. « Hourra ! Hourra ! » En un instant, des cavaliers fondirent sur la colonne de tous les côtés à la fois. La plupart des assaillants étaient des cosaques irréguliers, des Bashkirs et des Kalmouks. Leurs faciès de Mongols, leurs chapeaux rouges aux formes étranges, le fait que certains d’entre eux étaient armés d’un arc, tout cela causa une terreur panique. Des hussards les accompagnaient et sabraient en hurlant. La confusion fut totale. Des fantassins s’enfuyaient, levaient les bras ou tentaient de se défendre avec tout ce qui leur tombait sous le gant. Des mains crispées par le froid parvenaient à brandir des fusils et faisaient feu sur les cavaliers ou, plus
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