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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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pour retomber un mètre plus bas sur la cheminée d’une auberge... Il courait presque. Une vieille tuile céda brutalement sous ses pas. Il fit de grands moulinets tout en se contorsionnant. Son corps oscilla, comme s’il hésitait à choisir de quel côté s’écraser, mais retrouva finalement son équilibre. La tuile, elle, avait poursuivi sa route et vint éclater aux pieds d’un soldat en capote grise. Celui-ci épaula aussitôt en direction des toits.
    — Halte ! Qui va là ?
    — Soldat Mirambeau, à quoi jouez-vous ? tonna un sergent.
    — Une tuile a failli me tomber sur le crâne, sergent. Y a quelqu’un qui s’balade sur les toits.
    Le sergent leva la tête.
    — Y a personne là-haut, Mirambeau, que des tuiles pourries qui...
    La détonation coupa court au discours du sous-officier. Les yeux du soldat s’étaient accoutumés à l’obscurité et venaient de distinguer une silhouette s’éloignant rapidement.
    — Aux armes ! Y a quelqu’un sur les toits !
    Une foule se massa aussitôt autour des deux hommes. Un caporal complètement ivre pointa son fusil vers le ciel.
    — C’est un espion russe ! Feu comme à Eylau, les enfants !
    Il tira, imité par deux fantassins. Un lieutenant trop jeune pour être toujours sensé accourut sabre au poing.
    — Qui nous attaque ?
    — Le soldat Mirambeau a vu un espion russe gambader sur les toits, mon lieutenant.
    — Ils sont au moins trois, affirma péremptoirement quelqu’un.
    Plus loin dans la rue, d’autres militaires faisaient feu ou appelaient aux armes.
    — Un vrai diable d’homme ! déclara un tireur malchanceux.
    Son compagnon mit en joue à son tour.
    — Les diables, moi, je leur troue la peau comme aux autres.
    Mais son coup n’arrêta pas plus la silhouette mouvante.
    — Encerclez les bâtiments ! ordonna le lieutenant avec enthousiasme.
    L’attroupement se scinda en deux et chaque groupe s’élança au pas de course dans des directions opposées. Certains troupiers riaient aux éclats, l’euphorie de l’alcool leur faisant considérer cette chasse à l’homme comme un jeu plus animé qu’une partie de cartes.
    Le fugitif courait et chacun de ses pas pouvait le précipiter dans la mort. Une balle était venue s’écraser contre une cheminée proche de lui, projetant des éclats de pierre qui l’avaient heurté. Il entendait des cris, des exclamations et des détonations. Quelqu’un hurla : « Les Russes nous canardent depuis les toits ! » et la rumeur embrasa la rue. Une balle pulvérisa une tuile à ses pieds, une autre siffla à ses oreilles tandis qu’une troisième cassait un carreau et déclenchait des rires avinés. Il aperçut soudain un arbre qui s’appuyait au dos de l’édifice. Sans hésiter, il dévala la forte pente et s’élança, bras tendus, le plus loin possible. Ce bond lui parut durer une éternité. Enfin le feuillage lui griffa le visage. Il saisit une branche qui ploya aussitôt sous son poids et rompit. Ses côtes heurtèrent douloureusement une autre branche, nettement plus grosse, à laquelle il se cramponna immédiatement. Il ne se trouvait plus qu’à deux mètres du sol. Il se laissa choir et atterrit dans une flaque d’eau. Il allait se précipiter vers la forêt lorsqu’une voix retentit dans son dos.
    — Halte-là ! Alors, mon gaillard, où tu vas comme ça ? Ça serait-y pas pour toi toute cette pétarade ?
    L’homme se retourna. Un sergent-major pointait vers lui son fusil, baïonnette au canon.
    — Avance un peu dans la lumière.
    Les cris se rapprochaient. L’homme obéit. Le sous-officier cligna plusieurs fois des yeux, redressa son fusil et se figea au garde-à-vous.
    — Excusez-moi, mon colonel, je viens juste de vous reconnaître.
    L’homme se fendit pour lui plonger la lame de son couteau en plein coeur.
    — Et c’est bien dommage pour toi...
    *
*   *
    Ce 29 juin 1812, le capitaine Margont, fasciné, contemplait le passage du Niémen. Ce fleuve constituait la frontière entre le duché de Varsovie, allié à la France, et la Russie. La traversée de cet obstacle était donc le baptême de cette campagne. Quelques jours plus tôt, Napoléon et le gros des troupes avaient franchi la large étendue d’eau plus au nord sur les trois ponts construits par le général Eblé en un temps record. Margont servait dans le 4 e corps, fort de quarante-cinq mille hommes placés sous les ordres du prince Eugène de Beauharnais, beau-fils de Napoléon
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