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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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tué Natalia, vous auriez été d’accord avec moi. On serait allé lui trouer la peau tous les deux. Bam, bam ! D’accord, on se serait fait abattre aussitôt après, mais au moins, on aurait fini en beauté au lieu de terminer changés en glaçons !
    — Non !
    Margont avait essayé de crier, mais l’épuisement lui coupait le souffle. Lefine avait raison et cela le déstabilisait plus encore.
    — Je l’aurai, conclut-il simplement.
    Lefine roula une boule de neige, la brandit devant lui, se figea au garde-à-vous pour la saluer et lui lança :
    — À vos ordres, mon capitaine !
    La Grande Armée n’était plus qu’une interminable caravane, colonne grosse de soldats hétéroclites déguisés pour lutter contre le froid, de chariots et de traîneaux, le tout parsemé de rares cavaliers. Par endroits, il y avait des êtres vivants agglutinés, ailleurs, des points dangereusement dégarnis ou isolés que les cosaques se faisaient un plaisir de massacrer. Seule la Garde avait conservé une contenance. Elle avançait en bon ordre, inébranlable, protégeant l’Empereur.

 
    32.
    Le 22 novembre, Margont se tramait au milieu d’un bois de bouleaux. Il y avait du brouillard et il neigeait une fois de plus. Les visages étaient décharnés, épuisés, hagards et, parfois, noircis par le gel. Chacun ressemblait à son propre cadavre. On avançait au milieu d’ombres, fantôme parmi les fantômes. L’angoisse de s’égarer était omniprésente. Car si l’on se perdait, on ne serait néanmoins pas perdu pour tout le monde et les cosaques ou les partisans vous massacreraient ou vous captureraient, selon leur humeur.
    Fanselin cheminait avec Margont et ses compagnons depuis le matin. Son cheval, éreinté, avait tant et si bien ralenti l’allure qu’il avait fini par être semé par son escadron. À la mort de sa monture, Fanselin avait voulu couper à travers une forêt. Il s’était retrouvé pris dans une tempête de neige. Lorsqu’il avait enfin rejoint l’armée, il était tombé sur le 4 e corps. Il portait une énorme pelisse qu’il avait, bien entendu, choisie rouge. Il se faisait un devoir de montrer l’exemple et exorcisait ses peurs par le rire et les bravades. De ce fait, un groupe de soldats le suivait en permanence.
    — J’étais complètement égaré dans cette forêt avec, pour seules armes, mes deux pistolets et ma lance, racontait-il.
    Il était si fier de sa lance que, chaque fois qu’il en parlait, il la brandissait et celle-ci s’en allait batailler avec les branches des bouleaux.
    — Bien sûr, je pensais aux cosaques ! Saleté de cosaques ! Ça vous sort de derrière nulle part, ça vous tire dans le dos et, le temps de se retourner, c’est déjà loin à l’horizon. Et ça galope, ça galope, ça galope ! Il faut s’accrocher pour les rattraper, ces coquins-là ! Ces diables de malins ont des pelisses couleur d’écorce qui les rendent invisibles. Pas vus, pas pris, disparus. Bref, au bout d’un moment, pardonnez ce détail peu ragoûtant, je commence à soulager ma vessie contre un tronc d’arbre et tout d’un coup, je me dis : « Attention, Edgar, sois sur tes gardes, des fois que tu serais en train de pisser sur les bottes d’un cosaque... »
    Son auditoire riait, lui se taisait pour économiser son souffle puis, quelques minutes plus tard, racontait une autre anecdote ou philosophait. Fanselin avait une telle confiance en lui-même et en les Français, et la Garde jouissait d’un tel prestige que sa présence insufflait un peu d’énergie dans les esprits.
    La colonne progressait lentement. La route était encombrée de cadavres congelés de soldats et de chevaux à demi dévorés. Il y avait aussi des couverts en argent, des vases et des pièces d’or que certains abandonnaient pour s’alléger. Soudain, on entendit un long sifflement qui devint de plus en plus aigu et s’acheva par une explosion tonitruante. Un bouleau s’effondra dans un bruit de craquement et piégea des hommes dans un enchevêtrement de branchages. Des boulets rebondirent ici ou là. Mais la marche continuait. Les troupes étaient régulièrement bombardées par des canons que les Russes avaient eu la détestable idée de monter sur des traîneaux. Une silhouette à cheval se rapprocha dans le brouillard. Quelques fusils se pointèrent dans sa direction, car qui disait cheval disait cosaque deux fois sur trois. Elle émergea brutalement de la brume glacée, comme une
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