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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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de poèmes. Sur une table trônaient un chandelier, deux verres et une cruche de vin. Un broc, un baquet d’eau et quelques provisions – des pots de confiture, des légumes et un chapelet d’ail – s’entassaient sur des étagères. Les draps, en désordre, étaient trempés de sang. Des taches rouge sombre sur le plancher permettaient de reconstituer deux pistes. L’une d’elles menait du lit à la porte et résultait probablement du déplacement du corps de la victime par les grenadiers. L’autre allait du lit au baquet. L’eau que contenait celui-ci était rouge. Celle dans le broc aussi. Impossible donc de savoir si l’assassin s’était débarrassé de taches de sang après son crime ou si des soldats ayant aidé à soulever le corps avaient tout simplement voulu s’y laver les mains. Or ces précieux témoins étaient en route pour l’Espagne. « Comment mener une enquête dans des conditions pareilles ? » tempêta intérieurement Margont.
    Il passa une heure à inspecter la chambre, mais ne découvrit rien hormis une trace de sang sur le verrou de la malle. Elle était à peine visible, car elle avait été essuyée. Cela semblait étrange. Ce coffre était maculé de taches de sang puisqu’il se trouvait à côté du lit. Alors pourquoi cette trace-ci avait-elle été essuyée ? S’agissait-il d’un élément sans rapport avec le meurtre, d’une blessure que s’était faite la victime ? Ou l’assassin, encore couvert de sang malgré sa rapide toilette, avait-il ouvert cette malle ? Margont la vida, examinant soigneusement chaque robe, la veste de printemps, les deux chemises de nuit... Les vêtements, pliés, ne présentaient aucune particularité.
    Il était en train de scruter la fenêtre lorsque des pas pressés retentirent dans l’escalier. Quelques instants plus tard, le sergent Lefine se figeait au garde-à-vous dans l’encadrement de la porte et, sourire aux lèvres, lançait un tonitruant : « A vos ordres, mon capitaine ! »
    Fernand Lefine, originaire d’Arles, était doté d’une vivacité d’esprit telle que le curé de sa paroisse avait oeuvré tant et plus pour lui enseigner la lecture et l’écriture. Ses parents, modestes cultivateurs, s’étaient imaginé qu’il deviendrait maître d’école ou maire. C’était mal connaître Fernand. Il n’y avait pas plus fainéant ni plus manipulateur que lui dans toute la région. Au lieu d’utiliser son insolente facilité à apprendre, il se faisait payer par les analphabètes pour rédiger leurs lettres. Il considérait que la vie était facile et que l’on aurait été bien bête d’envisager les choses autrement. Un jour, il fut surpris par un gendarme tandis qu’il pillait le jardin potager d’un voisin. Le représentant de l’ordre, un ancien combattant, l’avertit qu’il reviendrait le chercher trois jours plus tard pour le conduire en prison. Lefine s’entendit alors dire qu’il se trouvait face à trois solutions. Soit il allait en prison. Soit il préparait son baluchon et s’apprêtait à passer des années à vivre comme un fugitif au fin fond de la garrigue. Soit il s’engageait dans l’armée. Auquel cas la gendarmerie n’irait tout de même pas jusqu’à priver la patrie de l’un de ses vaillants défenseurs en ces temps troublés. Ainsi, en 1801, âgé de seulement dix-sept ans, Lefine entra dans l’armée française. Il y rencontra Margont ; les deux hommes ne s’étaient plus quittés depuis. Cela dit, l’amitié, comme toute chose en ce bas monde, a ses limites. Margont saisit par le col un Lefine éberlué et le jeta à terre.
    — Misérable !
    Lefine demeurait assis, la main sur la gorge, attendant que la tempête se calme.
    — Comment as-tu pu raconter ma vie aux agents de ce maudit Triaire ? À quel prix as-tu vendu notre amitié ? Trop cher, j’en suis sûr.
    — Ah, c’est ça...
    — Parce qu’il y a autre chose en plus ? tonna Margont.
    Lefine redressa son shako. Ses cheveux bruns étaient toujours bien coupés et soigneusement coiffés. Son air assuré, ses connaissances et sa débrouillardise (euphémisme) lui valaient une grande popularité au 84 e .
    — Vous remarquez que j’avoue mon crime, mon capitaine. Et crime avoué est à moitié...
    — Ce genre de bêtises, ça marche uniquement au confessionnal.
    Margont s’accroupit pour le forcer à le contempler droit dans les yeux.
    — Évidemment que tu avoues, tu es le seul suspect possible !
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