Les pièges du désir

avec quelques nuages moutonnants, l’herbe haute encore verte et ondulant dans le vent, les bois touffus dans le lointain – et à côté de cette beauté paisible, la violence, la destruction et la mort… 
    Un homme cria, atteint à l’œil, et tituba en arrière pour rejoindre l’amoncellement croissant des blessés et des tués. Un lancier français en profita pour faire une percée dans le carré et fondit sur Jack au galop. D’un geste prompt, Jack brandit son pistolet et tira. L’homme tomba et son cheval affolé s’enfuit. 
    La cavalerie déferlait toujours et le régiment d’Essex s’épuisait. Le carré, drastiquement réduit, ne pourrait pas tenir éternellement. Le désespoir se lisait sur les visages exténués des soldats. 
    – Eh, les gars, regardez ! cria soudain Hamerton. Voilà les Ecossais ! 
    Le régiment des Royal Scots , qui venait d’apparaître, forma le carré et se joignit aux combattants. Jack aperçut Tranville parmi eux et une bouffée de colère le saisit. 
    Après leur altercation, le général lui avait envoyé une lettre l’informant qu’il n’avait pas renoncé à les ruiner, lui, sa famille et Ariana. L’exécution du plan était simplement reportée à leur retour de Belgique. 
    S’ils en revenaient jamais… 
    Une balle siffla à l’oreille de Jack, qui se remit sur la défensive. Le diable l’emporte s’il laissait la mort le prendre sur ce champ de bataille ! Tous les siens dépendaient de lui pour traverser cette épreuve. 
    Et puis… Il voulait revoir Ariana une dernière fois. 
    ***
    Ariana avait l’impression de vivre un cauchemar. 
    Quatre jours plus tôt, elle avait pris le chemin de Bruxelles avec Mary Vernon, sa soubrette et son valet Wilson. Tous quatre avaient voyagé sans relâche, d’abord par la mer, puis sur les routes de Belgique, pressés d’arriver à destination. Ariana voulait retrouver Jack et passer avec lui le peu de temps qui leur serait imparti avant la bataille. 
    Hélas, elle était arrivée trop tard. Le combat contre Napoléon s’était déjà engagé. 
    Le son du canon avait résonné à leurs oreilles en tout début d’après-midi et son grondement n’avait fait que croître au fur et à mesure qu’ils approchaient de Bruxelles. 
    Avant le départ de Jack, elle l’avait supplié de la laisser venir avec lui afin de veiller à ses besoins matériels ou soigner ses éventuelles blessures, bref, tout ce que pouvaient faire en pareil cas les femmes qui suivaient l’armée. Et puis, si l’impensable arrivait, elle préférait être là pour le serrer dans ses bras une dernière fois… 
    Or, loin d’accepter, il lui avait pour ainsi dire ordonné de rester à Londres afin de jouer dans Antoine et Cléopâtre et de devenir la vedette qu’elle avait tant rêvé d’être. 
    – Votre succès sera le meilleur moyen de vous protéger contre Tranville, lui avait-il dit. 
    Pis que cela, il avait refusé tout engagement avec elle. « Ne vous croyez pas liée à moi. Vous êtes libre », avaient été les derniers mots qu’il lui avait adressés en partant. 
    Sauf qu’elle ne voulait pas être libre ! Dans son cœur, elle se sentait liée à Jack pour toujours. 
    Elle avait interprété Cléopâtre et utilisé le second portrait, celui où elle était presque nue, pour assurer la publicité du rôle. Le tableau trônait dans le foyer du théâtre et prospectus, affiches et magazines en reproduisaient partout la gravure. Le scandale créé par cette image avait drainé des foules de spectateurs à Drury Lane, dont la salle était comble tous les soirs. 
    Ces remous n’avaient pas duré, le retour de Napoléon ayant promptement détourné l’attention des gens. 
    Dès que le cycle de représentations s’était achevé, Ariana avait refusé tous les rôles qu’on lui proposait et décidé de se rendre à Bruxelles. La moitié de Londres s’y trouvait déjà, alors pourquoi pas elle ? Là-bas, au moins, elle aurait peut-être la chance de passer un peu plus de temps avec Jack, même si ce n’était qu’une semaine, une journée ou une heure… 
    C’était du moins ce qu’elle avait cru. 
    La mère de Jack avait insisté pour l’accompagner et Ariana s’était sentie incapable de lui opposer un refus, après toute la peine qu’elle lui avait déjà involontairement causée. A présent, elles étaient assises l’une en face de l’autre dans la diligence bondée qui les conduisait à