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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts
Autoren: Norman Mailer
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regardait tournoyer autour de sa tête. Ils étaient beaux, avec leurs grands corps jaunes munis d’ailes iridescentes. Il devait s’en souvenir plus tard comme d’une chose tout à fait indépendante de ce qui avait suivi.
    Pareils à une fusée flamboyante, les frelons dévalèrent rageusement le long de la colonne. Croft s’assena une claque sur l’oreille, mais déjà le frelon l’avait piqué. La douleur était affolante ; elle mordait à son oreille comme une engelure et répandait par tout son corps une fulgurante cuisson. Un autre frelon le piqua, puis un autre ; il se mit à mugir de douleur et à se débattre frénétiquement.
    Du coup, les hommes atteignirent le point culminant de leur détresse. Ils restèrent ancrés au sol pendant cinq bonnes secondes, faisant moulinet avec leurs bras, et chaque morsure leur perçait le corps, libérant de nouvelles énergies de désespoir. Calé sans force contre un rocher, battant l’air avec rage, Wyman se mit à brailler comme un enfant.
    « J’en peux plus, j’en peux plus ! » hurlait-il.
    Deux frelons le piquèrent presque simultanément. Lançant avec violence son fusil, il poussa un cri de terreur qui entama les hommes comme une déflagration. Il se mit à descendre en courant, et un à un ils le suivirent.
    Croft leur cria de s’arrêter, mais ils ne lui prêtèrent au cune attention. Il lâcha un dernier juron, s’agita impuissamment contre l’assaut des insectes, puis s’élança après ses hommes. Dans un ultime sursaut d’ambition il songea à les regrouper au bas de l’amphithéâtre.
    Les frelons les poursuivirent tout le long de la descente, aiguillonnant les dernières ressources de leur énergie. Ils couraient avec une surprenante agilité, bondissant de rocher en rocher, se jetant à corps perdu à travers les broussailles. Ils ne sentaient rien hormis la sauvage moucheture des frelons et le mat cognement de leur propre chair contre les rocs. Tout en fuyant ils se débarrassaient de tout ce qui ralentissait leur course. Ils jetèrent leurs armes, et certains se défirent de leurs sacs. Ils avaient la vague notion qu’en abandonnant le gros de leur bagage ils rendraient impossible la continuation de la patrouille.
    Devançant immédiatement Croft, Polack vit les fuyards qui, ayant enfin échappé à la poursuite des frelons, s’arrêtaient en désordre. Il lança un coup d’œil par-dessus son épaule sur Croft et se jeta au milieu des hommes, hurlant : « Qu’est-ce que vous attendez ? Voila ces salopes de bestioles  ! » Sans s’arrêter il les dépassa en courant, en hurlant, et ils le suivirent, emportés par un nouvel accès de panique. Ils se dispersèrent sur les gradins de l’amphithéâtre et, continuant du même élan frénétique, ils dégringolèrent jusqu’au vallon – au pied de la falaise suivante. En quinze minutes de sauve-qui-peut ils se retrouvèrent au-delà du point où ils avaient campé la veille.
    Quand Croft les eut finalement rejoints, quand il les eut rassemblés, il constata qu’ils n’avaient plus en leur possession que trois fusils et cinq sacs. C’était la fin. Il savait qu’il ne saurait jamais reprendre la montée. Lui-même se sentait trop affaibli. Il accepta le fait passivement, trop éreinté pour éprouver des regrets ou de la peine. D’une voix calme et lasse il leur dit de se reposer avant de reprendre le chemin de la côte.
    Leur retour s’effectua dans le calme. Ils étaient lamentablement fatigués, mais du moins allaient-ils en descendant. Ils traversèrent sans incident la coupure où Roth trouva la mort et, ayant dépassé vers l’après-midi les dernières falaises, ils abordèrent le pays vallonné. Le grondement de l’artillerie qui leur parvenait de l’autre côté de, la chaîne les accompagna tout au long de leur marche. Cette nuit-là ils campèrent à une dizaine de milles de la jungle, et le lendemain ils débouchèrent sur la côte et se joignirent aux brancardiers. Brown et Stanley ne les avaient précédés que de quelques heures.
    Goldstein raconta à Croft comment ils perdirent Wilson. Mais, à sa surprise, Croft ne fit aucun commentaire. Rien autre chose préoccupait Croft. Tout au fond de lui-même il était soulagé par son échec. Cet après midi-là, alors que les hommes attendaient sur la plage l’arrivée du canot qui devait les reprendre le lendemain, cet après-midi-là Croft se sentit apaisé par l’inadmissible certitude qu’il avait
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