Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts
Autoren: Norman Mailer
Vom Netzwerk:
ramasser. »
    Wilson fit entendre un petit rire.  T’as raison, mon pote, mais c’est un bras drôlement costaud qu’il faudra. » Il rit de nouveau, avec une allégresse facile, presque enfantine, et il se mit à servir les cartes. C’était un grand bonhomme d’une trentaine d’années, avec une belle crinière d’un brun doré et une face saine et haute en couleur dont les larges traits avaient une coupe régulière. Assez bizarrement, il portait des lunettes rondes, cerclées d’argent qui lui donnaient à première vue un air studieux ou, du moins, une apparence ordonnée. Tandis qu’il servait, ses doigts semblaient savourer le contact des cartes. Il rêvait d’alcool, se sentant plutôt triste parce que malgré tout l’argent en sa possession il ne pourrait pas même se payer une pinte. « Vous savez, dit-il, le rire facile, j’en ai pourtant bu de la gnole, mais je peux jamais me rappeler le goût qu’elle a si j’ai pas la bouteille sous la main.  Il réfléchit une seconde, prêt à servir une carte, puis il pouffa : « C’est comme baiser. Un gars qui baise régulièrement et tout, eh bien, il peut jamais se rappeler comment que c’est quand il a rien à baiser. Et si c’est quand il a rien, c’est midi sonné pour se rappeler l’air que ça, un con. Y en avait une que j’ai eue, la femme d’un copain dans le bas de la ville, elle avait le plus formidable roulis de fesses qu’un gars peut rêver. Avec toutes les filles que j’ai eues, j’oublierai jamais cette petite garce. » Il secoua la tête en signe d’hommage, s’essuya le dos de la main sur son front haut et sculpté, se la passa sur sa crinière dorée, et pouffa joyeusement : « Mon pote, dit-il doucement, c’était comme plonger dans un tonneau de miel. » Il distribua deux cartes couvertes à chaque joueur, puis, au tour suivant, une troisième, à découvert.
    Pour une fois Wilson eut une mauvaise main, et après être resté le temps d’un tour parce qu’il était gros gagnant, il quitta le jeu. « Quand on aura débarqué, se dit-il, il faut que je dégote un moyen pour me fabriquer de l’alcool. Y a un sergent de mess à la compagnie C qui a dû se faire ses deux gros mille en se faisant payer cinq livres le litre. Tout ce dont on avait besoin c’était du sucre et de la levure et de ces boîtes de pêches ou d’abricots. » Il sentit, par anticipation, une douce et tiède lueur dans sa gorge. Quoi, on pouvait en fabriquer même avec moins. Son cousin Ed, il s’en souvenait, en avait fait avec de la mélasse et du raisin, et ç’a été un article tout à fait décent.
    Durant un moment, toutefois, Wilson se sentit découragé. S’il voulait s’en fabriquer, de cet alcool, il lui faudrait, une de ces nuits, voler sous la tente du mess les ingrédients et trouver une place où les cacher pour une couple de jours. Puis il lui faudrait un bon petit coin où laisser la liqueur une fois faite. Pas trop près du bivouac ou alors n’importe qui y buterait, et pas trop loin non plus si on avait envie de siroter un coup à la hâte.
    Il allait y avoir un tas de problèmes à résoudre, à moins d’attendre jusqu’après l’attaque, quand on sera établi dans un camp permanent. Mais ça allait prendre du temps. Qui sait, trois ou peut-être quatre mois. Wilson commença à se sentir mal à l’aise. Dans l’armée, dès qu’un homme voulait obtenir quelque chose pour lui-même, c’était tout un casse-tête.
    Gallagher, qui venait lui aussi d’abandonner la partie, regardait Wilson avec ressentiment. Il fallait quelqu’un comme ce crétin de vantard pour gagner toutes les grosses mises. Gallagher avait des remords de conscience. Il avait perdu au moins trente livres, presque une centaine de dollars, et bien que cet argent il l’eût gagné au cours de la traversée, cela ne l’excusait pas pour autant. Il pensait à sa femme, Mary, enceinte de sept mois, et il essayait de se rappeler comment elle était. Mais tout ce qu’il ressentait, c’était un sens de culpabilité. Quel droit avait-il de jeter de l’argent qu’il aurait dû envoyer à sa femme ? Il éprouvait une profonde et familière amertume ; tout, avec lui, devenait pouilleux tôt ou tard. Sa bouche se contracta. De quelque façon qu’il s’y prît, aussi durement qu’il travaillât, il semblait qu’il dût faillir en fin de compte. Devenant plus aiguë, son amertume le submergea pour un instant. Il y avait quelque chose
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher