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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts
Autoren: Norman Mailer
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Croft ressentit une vive émotion. Il n’avait pris qu’un médiocre intérêt à la partie, mais la nouvelle distribution lui valut un sept, ce qui lui fit deux paires, Dans cet instant il eut la soudaine et puissante conviction qu’il allait enlever le pot. Il savait, il était sûr que sa prochaine carte allait être un sept ou un dix. Cela était hors de doute. Une certitude aussi éclatante devait avoir une signification. Il jouait habituellement avec une sagace appréciation des probabilités, et il possédait une connaissance effective de ses partenaires. Mais c’était la marge d’inconnu qui, à ses yeux, donnait son sens au poker. Dans tout ce qu’il entreprenait il apportait toute la préparation et le savoir-faire dont il était capable, mais il savait qu’en fin de compte les résultats dépendaient aussi de la chance. Il faisait bon accueil à la chance. Il avait la profonde, l’ineffable croyance que les choses étaient de son bord, et présentement, après une longue nuit de cartes quelconques, il avait potentiellement un jeu de belle venue.
    Gallagher eut un cinquième cœur, et Croft lui imagina un floche. Les trois piques de Wilson ne furent pas améliorés par le carreau qui lui échut, mais Croft supposa qu’il avait déjà son floche et qu’il jouait à coup sûr. Croft s’étonnait toujours combien madré était le jeu de Wilson, par contraste avec son air bon enfant.
    « Deux livres », dit-il.
    Wilson obéit, et Gallagher renchérit de deux autres livres. Croft décida que Gallagher avait son floche tout rond.
    II compta nettement quatre livres sur le tapis. « Et deux de plus », dit-il. La tension éveillait un goût agréable dans sa bouche.
    Wilson pouffa niaisement. « Nom de Dieu, ça va être un grand pot, dit-il. Je ferai mieux de me tirer de là, mais j’ai jamais pu m’empêcher de zyeuter la dernière carte. »
    Maintenant Croft était convaincu que Wilson lui aussi avait un floche. Il vit de l’incertitude chez Gallagher – un des piques de Wilson était un as. « Et deux de plus », lit Gallagher un peu désespérément. Croft pensa que s’il avait dès à présent son floche en main il aurait renchéri sur Gallagher toute la nuit, et d’ailleurs il valait mieux économiser son argent pour la septième carte.
    Il ajouta deux livres au tas qui s’empilait sur la couverture, et Wilson l’imita. Lévy leur distribua la dernière carte, couverte. Dominant son excitation, Croft promena un regard par le poste qui se perdait dans l’ombre, contempla les rangées de couchettes qui tissaient une toile d’araignée au-dessus du groupe des joueurs. Il aperçut un soldat qui se retournait dans son sommeil. Puis il prit sa septième carte. C’était un cinq. Il mélangea ses cartes avec lenteur, désorienté, tout à fait incapable de croire qu’il ait pu se tromper à ce point. Ecœuré, il abandonna son jeu sans même prendre la peine de dire qu’il passait. Il commençait à se sentir en colère. Il observait les joueurs, quiètement, et il vit Gallagher misant son dernier billet.
    « Je me goure fameusement, mais je vas voir, dit Wilson. Qu’est-ce que t’as, mon pote ? »
    Gallagher devint brutal, comme s’il avait su qu’il était perdant. « Qu’est-ce que tu penses que j’ai, face de cul ? Un floche à cœur, par le valet. »
    Wilson soupira. « Ça me fait mal de te faire ça à toi, mon pote, mais je te possède à pique avec ce gars-là », dit-il, pointant son as.
    Gallagher garda le silence pendant plusieurs secondes, mais sur sa face les sombres grumeaux devinrent d’un pourpre épais. Puis, d’un seul coup, il parut exploser, c De tous les enculés du monde, il faut que c’est ce fils de garce qui rafle tout ! » Il restait là, pris de frissons.
    Un soldat irrité se souleva sur son coude, dans une couchette près de l’écoutille. « Au nom de Dieu, les gars, cria-t-il, si vous la fermiez un peu et qu’on pionce un coup !
    – Va te faire enculer ! hurla Gallagher.
    – Vous ne savez donc pas quand ça suffit, non ? »
    Croft se mit debout. C’était un homme décharné, de taille moyenne, mais il se tenait si droit qu’il en paraissait grand. Sous le globe bleu de l’œil sa face étroite et triangulaire était absolument sans expression, et il semblait que rien n’était superflu dans le modelé de sa mâchoire, ure et petite, de ses joues fermes, de son nez court et droit. La lumière accentuait des reflets
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