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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts
Autoren: Norman Mailer
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indigo dans ses cheveux noirs et fins, et son regard de glace était très bleu. « Dis donc, petit soldat, fit-il d’une voix égale et froide, arrête de cracher. On jouera notre jeu comme ça nous plaît, et si ça te va pas c’est du pareil au même, à moins que tu préférés venir te frotter à nous cinq. »
    Il y eut un grognement indistinct du côté de la couchette, que Croft ne quittait pas des yeux. « Si t’en as vraiment envie, tu peux venir te frotter à moi tout seul », ajouta-t-il. Sa phrase était calme et clairement énoncée, avec une trace d’accent méridional. Wilson l’observait attentivement.
    Cette fois le soldat qui s’était plaint n’émit pas de réponse, et Croft, souriant du bout des lèvres, se rassit. « Tu cherches la bagarre, mon pote, lui dit Wilson.
    – J’ai pas aimé le ton de ce gars », dit Croft brièvement.
    Wilson haussa les épaules. « Bon, allons-y, suggéra-t-il.
    – Je m’en vas », dit Gallagher.
    Wilson se sentit mal à l’aise. Ce n’était pas drôle du tout, décida-t-il, de rafler tout son fric à un gars. Gallagher était plutôt un brave type, et c’était doublement moche quand il s’agissait d’un copain qui a dormi trois mois sous la même tente que vous. « Ecoute, petit gars, pro-posa-t-il, c’est pas une raison de bousiller une partie parce qu’on est à sec. Laisse-moi miser pour toi quelques-unes ae ces livres.
    – Nix, je m’en vas », répéta Gallagher avec colère.
    Wilson haussa de nouveau les épaules. Il ne pouvait pas les comprendre, ces hommes qui, tels Croft et Gallagher, prenaient tellement à cœur une partie de poker. Lui aussi aimait le jeu, et il n’y avait rien à fiche pour passer le temps d’ici le matin, mais le poker n’était pas si important après tout. Un tas d’argent qui s’empile devant vous vous donne une agréable sensation, mais lui aurait préféré plutôt à boire. Ou une femme. Il gloussa tristement. C’était joliment loin, une femme.
    Fatigué à la longue de sa couchette, Bed se faufila derrière la sentinelle et monta sur le pont. L’air y semblait froid après la station prolongée dans le poste. Il aspira profondément, avançant avec précaution dans l’obscurité, voyant les contours du navire se dessiner peu à peu. La lune illuminait les roufs et les apparaux d’un calme lustre argenté. Il regardait fixement devant lui, conscient du souffle muet des hélices, du lent roulis du navire dont il avait perçu les vibrations en bas dans sa couchette. Il se sentit rassuré du coup, car le pont était presque désert. Un marin était de garde à côté d’un canon tout proche, mais en comparaison avec le poste l’isolement ici était complet.
    Red s’approcha de la lisse et regarda la mer. Le navire bougeait à peine et le convoi tout entier semblait à l’arrêt, le nez dans l’eau, comme un chien qui flaire une piste incertaine. Très loin à l’horizon la ligne escarpée d’une île s’élevait en pente rapide, devenait montagne, puis déclinait de nouveau dans une cascade de collines. Ceci était Anopopéi, décida-t-il, haussant les épaules. Quelle différence cela faisait-il ? Toutes les îles se ressemblent.
    Confusément, sans anticiper, il songea aux jours à venir. Demain, quand ils auront accosté, ils auront les pieds dans l’eau et du sable plein les chaussures. Il y aura à décharger les embarcations, une après une autre, à coltiner des caisses et des caisses sur la plage où elles s’empileront en tas. S’ils ont de la chance il n’y aura pas d’artillerie japonaise, et pas trop de tireurs embusqués. Il ressentit une fatigue mêlée de crainte. Il y aura cette attaque et une autre et puis une autre, et il n’y aura jamais de fin à cela. Il se massa la nuque, regardant obstinément l’eau, son corps maigre et long gauchi dans chacune de ses jointures. Il était une heure du matin. Dans trois heures es canons auront démarré et les hommes auront ingurgité un chaud, nauséeux casse-croûte.
    Il n’y avait rien d’autre à faire que de se laisser vivre d’un jour à l’autre A tout prendre, sa section avait de la chance quant aux journées à venir. Ils auront à bosser sur la plage pour une semaine environ, et pendant ce temps-là les premières patrouilles auront déjà reconnu les pistes un peu dangereuses, puis la campagne retombera dans la routine et l’ennui familiers. Il cracha, pétrissant du bout anguleux de ses doigts
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