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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts
Autoren: Norman Mailer
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trouvé une limite à sa voracité.
    Le canot vint les chercher dans la matinée du lendemain et ils s’embarquèrent pour leur voyage de retour. Cette fois-ci l’embarcation avait été pourvue de dix-huit bat-flanc alignés le long des cloisons, et les hommes, s’étant débarrassés de leur équipement, se jetèrent sur les couchettes et s’endormirent. Raides, endoloris, ils ne faisaient que dormir depuis leur sortie de la jungle, l’après-midi de la veille. Certains avaient manqué leur repas du matin, mais personne n’avait d’appétit. Les rigueurs de la patrouille les avaient épuisés ae bien des manières. Ils sommeillèrent pendant des heures, et s’ils se réveillaient c’était pour rester sur leurs bat-flanc et regarder le ciel au-dessus de l’embarcation. Le canot piquait et faisait des embardées, l’embrun s’embarquait par-dessus les murs et la proue, mais ils s’en apercevaient à peine. Le bruit du moteur était agréable, rassurant. Déjà la réalité de la patrouille allait s’estompant, pour laisser place à un vague composé de souvenirs distordus.
    Dans l’après-midi la plupart d’entre eux étaient réveillés. Ils étaient encore terriblement fatigués, mais ils ne pouvaient plus dormir. Ils étaient trop endoloris pour éprouver le désir de déambuler dans les étroits passages du pont, et. cependant ils étaient en proie à une sorte d’agitation. La patrouille était finie – et si peu de chose restait dans l’inconnu. Tout leur était palpable dans les mois et les années à venir. Ils étaient toujours dans le bain ; la misère, l’ennui, l’horreur qui vous disloquent… Des choses arriveront et le temps s écoulera, mais il n’y avait pas d’espoir, pas d’expectative. Il n’y aura rien hormis le profond et sombre abattement qui obscurcit toute chose.
    Minetta passa l’après-midi à lambiner yeux clos sur son bat-flanc, s’abandonnant à une très simple, très plaisante vision. Il rêvait qu’il s’écrabouillait un pied. Un de ces jours, en nettoyant son fusil, il pointera le canon juste au milieu de sa cheville et pressera la détente. Les os de son pied seront réduits en bouillie, et qu’on l’ampute ou non on le renverra certainement chez lui.
    Minetta s’efforçait de peser le pour et le contre. Il ne pourrait plus courir, mais, pour commencer, qui diable avait envie de courir ? Quant à danser, avec leurs membres orthopédiques perfectionnés il se débrouillerait même avec un pied de bois. Oh, ça marchera, ça gazera.
    Un moment il fut désorienté. Est-ce que cela faisait une différence, quel pied ? Il était gaucher et il serait peut-être mieux de s’écrabouiller le pied droit, ou bien était-ce la même chose ? Il songea à demander l’avis de Polack, mais tout aussitôt il en abandonna l’idée. Ce genre de choses il faut les combiner tout seul. Dans une quinzaine, un jour comme un autre, il prendra soin de cette petite affaire. Il passera un temps à l’hôpital, trois mois, six mois, puis après… Il alluma une cigarette, suivant du regard les nuages qui se dissolvaient les uns dans les autres, se sentant vaguement attristé parce qu’il lui faudrait perdre un pied et que ce n’était pas de sa faute.
    Red triturait une plaie sur sa main, examinant maternellement les crevasses et les arêtes de ses phalanges. Il n’y avait pas à se leurrer davantage. Ses reins étaient bousillés, bientôt ses jambes ne le porteraient plus ; tout son corps se ressentait des dommages dus à la patrouille. Elle l’avait sans doute vidé au-delà de toute récupération. Eh bien, à la vieille classe de ramasser les bûches, Mac-Pherson à Motome, Wilson maintenant, et c’était probablement justice. Et il y avait toujours la chance d’écoper une balle et de s’en tirer avec la bonne blessure. Quelle différence, après tout ? Une fois qu’on est devenu un jaune… Il toussa, couché à plat dos, légèrement incommodé par son graillon. Il lui fallut un effort de volonté pour se soulever sur son coude et pour expectorer sur le pont.
    « Hé ! toi, cria un des pilotes debout sur l’écoutille arrière, c’est pas une porcherie ce bateau. On a pas envie de le récurer après vous.
    – Aaah, ta gueule, vociféra Polack.
    – Fini de cracher, vous autres », dit Croft depuis sa couchette.
    Il n’y eut pas de réponse. Red se fit oui de la tête, à lui-même. C’était bien ça ; il avait attendu avec un rien
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