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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts
Autoren: Norman Mailer
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à la mer, soulevant de lointains jets d’eau ; mais, bientôt, un chapelet d’obus éclata sur la plage et la vie s’éveilla à Anapopéi, luisant comme une braise. Ici et là, à la lisière de la plage, la jungle prenait feu, et parfois un obus qui tombait trop loin allumait de petits incendies dans la brousse. L’arête de la plage devint nette, elle clignotait comme un port vu d’une grande distance tard la nuit.
    Un dépôt de munitions commença à brûler, arrosant. une partie de la plage d’éclats roses. Quand plusieurs obus eurent atteint le dépôt, les flammes s’élevèrent à une hauteur fantastique, prenant leur essor dans un nuage de fumée brune. Les obus continuèrent à raser la plage, puis le tir s’allongea. Déjà le bombardement avait acquis un rythme régulier, fixe presque. Plusieurs bâtiments déchargeaient leur volée en même temps, viraient de bord, et une autre file de bâtiments venait s’y substituer. Le dépôt de munitions brûlait toujours, mais la plupart des feux avaient diminué sur la plage, et les volutes de fumée furent impuissantes à masquer la côte dans les premières lueurs de l’aube. A peu près à un mille dans les terres quelque chose avait pris feu au sommet d’une colline, et très loin derrière l’incendie le mont Anaka s’élevait au-dessus d’un collier de fumée brunâtre. Malgré la robe pourpré ; à ses pieds, la montagne imperturbable reposait au cœur de l’île, regardant la mer. Le bombardement la laissait tout à fait indifférente.
    En bas, dans la cale aux troupes, les bruits étaient plus sourds et plus persistants ; ils cognaient et grondaient comme une rame de métro. Rallumée après le casse-croûte, la lumière électrique, d’un jaune blême, vacillait tristement, couvrant d’ombre les panneaux des écoutilles et les rangées de couchettes, éclairant les hommes qui se pressaient dans les passages et s’agglutinaient autour de l’échelle qui menait sur le pont.
    Martinez écoutait anxieusement les bruits. Il n’eût pas été surpris si le panneau qui lui servait de siège avait glissé de dessous son séant. Ses yeux injectés de sang clignotaient dans la lueur fatigante des ampoules. Il aurait voulu se rendre insensible à toute chose, mais un tic inconscient contractait ses jambes chaque fois qu’un cognement plus fort ébranlait la cloison. Sans raison apparente, il n’arrêtait pas de se répéter la dernière phrase d’une vieille plaisanterie : « Je m’en fiche si j’en meurs, si j’en meurs, j’en meurs. » Sa peau semblait brune dans la lumière jaunâtre. C’était un Mexicain de petite taille, svelte, beau, la chevelure ondoyante et soignée, les traits menus. Même dans cet instant il avait le port et la grâce d’un cerf. Quelque rapides que fussent ses allures, leur mouvement restait toujours souple et sans effort. Et comme chez un cerf, sa tête n’était jamais immobile, ni ses yeux tout à fait au repos.
    Par-dessus l’aboiement régulier des canons, Martinez pouvait entendre des voix se détacher distinctement pour une seconde – et se perdre de nouveau. Un brouhaha s’élevait dans chaque section ; la voix d’un chef de groupe venait bourdonner à son oreille comme le vol d’un insecte, indistincte et plutôt contrariante. « Alors, c’est bien compris : je veux pas qu’il y en a qui s’égarent quand on accostera sur la plage. Tenez-vous tous ensemble, c’est très important. » Martinez remonta ses genoux, se reculant sur ses reins jusqu’à ce qu’il sentît les os de ses hanches lui perforer les fesses.
    La petite équipe de Croft paraissait insignifiante en comparaison des autres sections. Croft parlait embarcations d’atterrissage, et Martinez, l’esprit absent, écoutait mal. « Très bien, disait Croft doucement. Ça sera la même chose que la dernière fois. Pas de raison que ça marche mal, au contraire. »
    Red partit d’un gros rire méprisant. « Voui, et comment qu’on débarquera tous comme un seul homme, dit-il. Mais sûr et certain qu’un con de fils de garce va s’amener pour nous dire de retourner à la cale.
    – Tu crois que je chialerais, si on nous disait de rester ici jusqu’à la fin de la guerre ? fit le sergent Brown.
    – Ça suffit, leur dit Croft. Si vous savez mieux que moi de quoi il retourne, n’avez qu’à prendre ma place et le dire. » Il fronça les sourcils, puis reprit : « Nous sommes au canot vingt-huit. Vous
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