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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts
Autoren: Norman Mailer
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fois ton sacré barda, y a rien à faire pour s’y habituer, dit-il.
    – Est-ce que tu l’as bien ajusté ? » demanda Hennessey. Sa voix était guindée et elle tremblait un peu.
    « Mon cul, l’ajustement, dit Red. Ça me fait mal de partout. Je suis pas fait pour le barda, j’ai trop d’os. » Tout en continuant à parler, il coulait de temps à autre un regard sur Hennessey pour voir si son ami perdait un peu de sa nervosité. L’air était froid, et sur sa gauche le soleil était encore bas et quiet et sans chaleur. Il battit des pieds, aspirant une odeur du bateau, d’huile, de goudron, d’eau qui sentait la poissonnerie.
    « Quand est-ce qu’on monte dans les canots ? » demanda Hennessey.
    Le bombardement continuait toujours, et l’île était d’un vert pâle dans le petit matin. Une fine traînée de fumée rampait le long de la côte.
    Red rit. « Quoi ! Tu penses pas que ça va être différent aujourd’hui ? On poireautera sur le pont toute la matinée. » Mais, tout en parlant, il aperçut un groupe d’embarcations d’assaut qui tournoyaient sur la mer, à un mille de là. « La première vague a pas encore fini de se dépêtrer », dit-il pour rassurer Hennessey. Il se rappela l’invasion de Motome, sentant une trace de panique le ressaisir. Il avait encore le souvenir du bord caoutchouté du canot sur le bout de ses doigts, quand, engoncé dans l’eau, il se cramponnait de toutes ses forces ; il avait encore le goût salé de l’eau de mer au fond de sa gorge, il se rappelait sa muette, sa larmoyante terreur de couler à l’instant où ses forces l’abandonneraient – et les Japonais qui n’arrêtaient pas de les canarder. Il regarda de nouveau devant lui, "et pour un long moment sa face hirsute prit une expression de morne tristesse.
    Dans le lointain, à la lisière de la plage, la jungle avait pris l’aspect nu et mutilé qui lui vient des bombardements. Les palmiers, dénudés ae leur feuillage, devaient s’y dresser comme des colonnes que la flamme avait noircies. Loin à l’horizon le mont Anaka était à peu près invisible dans la brume d’un gris bleu pâle où se fondaient les nuances du ciel et de l’eau. Tandis qu’il regardait devant lui, un gros projectile atterrit sur la côte, soulevant une fumée plus dense que les deux ou trois obus qui l’avaient précédé. Il sera facile ce débarquement, se dit Red, sans cesser de penser aux canots pneumatiques. « Nom de Dieu, je voudrais qu’ils l’esquintent pas tout à fait, ce pays, dit-il à Hennessey. On va avoir à y vivre, nous autres. » Il y avait une espèce de goût cru dans cette attente. Il aspira, puis s’accroupit sur ses talons.
    Gallagher commença à jurer. « Putain de merde, combien de temps qu’on va poireauter ici ?
    – Ta gueule, lui dit Croft. La moitié des sections de commando vient avec nous, et ils sont même pas encore montés sur le pont.
    – Ben, pourquoi qu’ils sont pas ? » dit Gallagher. Il repoussa son casque sur sa nuque. « C’est bien un coup de ces bâtards de nous faire poireauter sur le pont pour nous faire amocher la gueule.
    – T’entends de l’artillerie japonaise, toi ? demanda Croft.
    – Ça veut pas dire qu’ils en ont pas », dit Gallagher. Il alluma une cigarette d’un air boudeur, la protégeant dans le creux de sa main comme de crainte qu’on ne la lui arrachât à l’instant.
    Un obus siffla au-dessus du navire et, inconsciemment, Martinez se recula contre une tourelle. Il se sentait nu.
    La machinerie compliquée des bossoirs saillait en partie au-dessus de l’eau. Harnachés sous leur équipement, – ceinturon et fusil, bandoulières et grenades, baïonnette et casque, – les hommes avaient l’impression qu’une porte à tambour leur écrasait les épaules-et la poitrine. Ils perdaient leur souffle, et leurs membres s engourdissaient. Grimper le long du bau qui menait à l’embarcation devenait une aventure assez semblable à celle de marcher sur une corde raide vêtu d’une armure.
    Quand ils reçurent l’ordre de monter dans le canot, le sergent Brown s’humecta nerveusement les lèvres. « Ils auraient pu construire ça un peu mieux », grommela-t-il à l’adresse de Stanley au moment où ils se risquèrent sur le bau. Le truc, c’était de ne pas tomber à la flotte. « Tu sais, Gallagher n’est pas un mauvais gars, mais il se fait de la bile, fît Stanley sur un ton de confidence.
    – Oui », fit
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