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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande
Autoren: Edouard Brasey
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sens la forêt, comme le sang circule dans le corps. Elle était présente dans les étangs, les lacs, les rus, les sources, les fontaines et surtout dans les marais et marécages.
    Le ruissellement de l’eau, c’était la musique de Brocéliande. On l’entendait sans cesse, comme un doux roulis apaisant. Elle donnait sa fraîcheur aux sous-bois, mais Gwenn savait qu’en cette saison la terre se mélangeait à l’eau pour former un nouvel élément, spongieux et mouvant, dans lequel on pouvait s’enfoncer et disparaître à jamais, passant d’une réalité à l’autre, du monde des vivants à celui des morts.
    Une brume sournoise s’élevait lentement du sol et brouillait les contours de la forêt. Au-dessus des futaies, le ciel virait au lavis. Il filtrait à peine, grisâtre et incertain, vitrail incolore aux verres dépolis cernés du plomb des branches entrelacées de cette cathédrale d’arbres. Dahud continuait d’avancer, le nez au sol, suivant des signes connus d’elle seule, flairant des traces que n’avaient pu effacer les années.Gwenn devait parfois hâter le pas pour de pas perdre de vue la lavandière, butant contre les pierres, plongeant ses sabots dans les nappes d’eau moirées d’insectes, s’écorchant aux branches acérées comme des griffes. Lorsque retentissait dans l’air étouffé de brouillard le cri d’un merle ou le croassement d’un corbeau, elle fermait ses oreilles à ces avertissements que lui prodiguait la nature et qu’elle avait jusqu’alors toujours respectés. Elle ne voulait plus écouter les alarmes et les intersignes. Elle voulait connaître, quel qu’en soit le prix, cette vérité qu’on lui avait dissimulée toute sa vie.
    Elles arrivèrent enfin à Barenton. La fontaine était toujours la même, avec son eau glacée et pourtant bouillonnante, son cortège de pierres et son perron magique, le perron de Merlin.
    – C’est ici… C’est ici…, se mit à glapir la noire lavandière en désignant d’un doigt squelettique la modeste fontaine. Rien n’a changé, sauf le temps. Il faisait beau, ce fameux jour… Un jour de printemps… C’était un dimanche… Un dimanche de mai 1914…
    Gwenn constatait avec stupeur l’enthousiasme presque juvénile que mettait Dahud à tourner autour de la fontaine, sautillant presque sur ses jambes usées, riant comme une adolescente. Elle semblait avoir rajeuni et être revenue à cette époque lointaine qui avait scellé à jamais son destin. La jeune femme sourit et ressentit une bouffée de tendresse pour cette vieille femme retombée en enfance. Peut-être n’était-elle pas si mauvaise ? Elle avait souffert, voilà tout. C’était la douleur qui l’avait rendue méchante.
    – Approche ! lança Dahud en faisant de grands gestes en direction de Gwenn. Viens tremper ta main dans l’eau. Tu vas voir comme elle est froide. Et tu vas voir rire la fée !Toutes ces petites bulles, là… C’est la fée de la fontaine qui nous souhaite le bonjour !
    Gwenn approcha et observa à son tour l’étrange phénomène. Elle le connaissait, bien sûr, et avait toujours trouvé attachantes les croyances et superstitions associées à ce lieu enchanteur qui avait vu naître les amours de Viviane et Merlin. Mais elle ignorait qu’il avait également été le témoin de la rencontre de ses propres parents. Son cœur battait d’impatience dans l’attente du récit promis par Dahud.
    – Oui ! J’m’en souviens bien ! continuait la vieille femme. C’était trois jours après Beltaine, la fête des fées. Il faisait beau comme en été. On était là, tous les cinq, avec nos beaux habits du dimanche qu’on avait mis pour la messe… Tiens, Yann se tenait là, exactement. Et pis y avait Hubert et moi. Et enfin Edern et Solenn, qu’étaient v’nus jeter des épilles dans la fontaine pour bénir leurs fiançailles…
    Gwenn répéta ces noms qu’elle entendait pour la première fois.
    – Edern… Solenn… C’étaient mes parents, n’est-ce pas ?
    – Oui, c’étaient bien eux. Beaux comme des rois. Solenn était blanche et rousse, comme toi. Pas noiraude comme moi… Et Edern... Le véritable aristo… Rien à voir avec son frère Hubert…
    La jeune femme eut un sursaut de surprise.
    – Mon père ? Le frère d’Hubert ? Mais alors…
    – J’t’avais bien dit qu’t’allais en apprendre de belles ! se réjouit Dahud en dévoilant ses chicots. Ben oui, tu l’savais pas, mais tu es une Montfort
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