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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande
Autoren: Edouard Brasey
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filaient entre les jambes comme des traits de sang, Loïc sentit l’imminence de l’orage. Le ciel était d’encre. Chahutés par le vent, les hêtres ressemblaient à des spectres surgis du néant, entrechoquant leurs bras pour effrayer les imprudents qui auraient osé s’attarder. Un profond mugissement s’échappait de leurs troncs tendus comme les cordes d’une gigantesque harpe sur laquelle le vent venait jouer de ses doigts invisibles. Enl’espace de quelques minutes, la forêt d’automne s’était métamorphosée en un enfer noir où hurlaient les dieux perdus, assoiffés d’offrandes et de sacrifices.
    Loïc accéléra, poussé et chassé par ce grand vent d’orage. Une goutte vint s’écraser sur son front, bientôt suivie d’une autre. C’était une pluie grasse qui s’écoulait du ciel comme d’un organisme malade. Un nuage creva et toute cette eau accumulée se déversa en un torrent nauséeux sur le bossu. Dans sa hâte, il trébucha sur un bouquet de fougères et s’étala de tout son long dans la fange d’un marécage.
    Le charbonnier se redressa, trempé jusqu’aux os. Il s’ébroua pour se délester de l’eau qui s’était emmagasinée sous ses vêtements. L’orage enflait encore, accompagné d’une pluie fine et glacée. C’est alors qu’il reconnut les signes.
    – C’est Barenton qui gronde…, murmura-t-il. Quelqu’un a jeté de l’eau sur le perron de Merlin et le chevalier noir va paraître.
    Il huma le vent et tenta de se repérer. Il reconnut enfin les lieux où l’avait entraîné sa course éperdue. Il était près du hameau de Folle-Pensée. Barenton n’était pas loin. Il s’y précipita, mû par une intuition fulgurante.

    – T’as voulu les voir, tes parents ? Eh bien, tu vas les rejoindre, c’est encore mieux ! Le nom, les titres, la noblesse, le château, t’y auras pas plus droit que ma fille. La lavandière de sang a plongé Annaïg dans le doué … Elle va te noyer dans la fontaine, c’est justice !
    Dotée d’une force qu’elle puisait dans sa folie et son désespoir, Dahud s’était juchée sur les épaules de Gwenn qu’elle avait assaillie par surprise et pesait de tout son poids pour la forcer à tomber dans la fontaine ravinée par la pluie. De ses mains décharnées elle lui crochetait le cou et tentaitde l’étouffer. La jeune femme cherchait à se débattre mais ses gestes désordonnés n’étaient parvenus qu’à faire gicler l’eau de Barenton sur le perron et provoquer une nouvelle fois l’orage légendaire.
    – Ah ! ça fait longtemps qu’j’avais pas entendu Barenton gronder, exultait la lavandière noire. Mais cette fois-ci, c’est pour toi qu’elle gronde, Gwenn. Tu vas t’en aller rejoindre Annaïg au pays des filles maudites et des lavandières perdues !
    Gwenn sentait sa résistance faiblir. Elle n’avait aucune prise et la pression des doigts de la vieille sur sa carotide commençait à lui faire perdre le souffle. Déjà, elle se sentait prise de vertiges et d’hallucinations. La tête lui tournait et son regard se voilait.
    – J’ai pas voulu la tuer, Annaïg ! criait encore Dahud. J’lui ai juste donné les remèdes pour la libérer du bâtard que Philippe lui avait planté dans l’ventre. Elle a pas supporté et elle a craché tout son sang par en bas. Alors la lavandière de sang est allée l’allonger dans l’eau du doué , pour qu’elle y soit bien. Mais moi, j’y suis pour rien ! J’l’aimais, moi, ma fille ! J’lui voulais pas d’mal ! C’est la lavandière qu’a tout fait. La lavandière de sang !
    Gwenn se sentait partir. Encore quelques secondes et elle se retrouverait de l’autre côté des apparences. Dans un pays noir et gris où erraient les trépassés victimes d’une mauvaise mort : les noyés, les assassinés, les suicidés. Elle y retrouverait Annaïg, sans doute, que Dahud avait tuée de ses propres mains comme elle était en train de la tuer à son tour.
    Au moment où la jeune femme allait abandonner toute résistance, la pression autour de son cou se relâcha brusquement. Ce ne fut pas elle, mais Dahud qui tomba dans la fontaine.
    Gwenn se laissa rouler sur le dos en hoquetant, cherchant son souffle, et rouvrit les yeux à la lumière du jour.
    Au-dessus d’elle se tenait Loïc, essoufflé par sa course et trempé par l’orage.
    – Gwenn ! Gwenn ! Réponds-moi !
    La jeune femme ouvrit la bouche, mais aucun son ne parvint à sortir de sa gorge
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