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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable
Autoren: Christopher John Sansom
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les avait repoussées sans ménagement. Avec ses dix-huit ans, elle était un peu plus âgée, mais, entre filles, elles auraient dû bien s’entendre. De plus, les enfants d’Edwin évoluaient dans une société plus élégante, et Elizabeth avait beaucoup à apprendre d’eux. » Il se mordit à nouveau la lèvre. « J’avais espéré qu’elle aurait une vie plus aisée. Or voyez où cela a mené.
    — Pourquoi pensez-vous qu’elle détestait Ralph à ce point ?
    — C’est justement ce qui m’a paru le plus incompréhensible. Ma mère et Edwin m’ont dit que ces temps derniers, quand Ralph s’approchait d’elle, elle lui lançait des regards si chargés de haine que c’en était effrayant. J’ai pu le constater moi-même un soir en février. Je dînais avec la famille, au grand complet. L’atmosphère était contrainte. On avait servi du bœuf. Mon frère l’aime très saignant, ce qui, je crois, n’était pas du goût d’Elizabeth. Elle mangeait du bout des lèvres. Ma mère l’a réprimandée, mais elle n’a pas répondu. Puis Ralph lui a demandé très poliment si elle avait plaisir à manger sa bonne viande saignante. Elle est devenue toute pâle, a posé son couteau et lui a jeté un regard si noir que je me suis demandé…
    — Quoi donc ?
    — … si elle n’avait pas l’esprit un peu dérangé, souffla-t-il.
    — À votre connaissance, Elizabeth avait-elle des raisons de détester cette famille ?
    — Non. Edwin ne comprend pas. Il est dérouté depuis l’arrivée d’Elizabeth chez eux. »
    Que s’était-il donc passé chez sir Edwin ? Bien qu’il eût l’air tout à fait franc, Joseph taisait-il certains faits, comme cela arrive fréquemment dans les familles ? Il poursuivit : « Après avoir trouvé le corps de Ralph, David Needler a enfermé Elizabeth dans sa chambre et envoyé un message à Edwin à la halle des merciers. Mon frère est revenu à cheval chez lui, mais, devant le silence obstiné d’Elizabeth, il a appelé le commissaire de quartier. Que pouvait-il faire d’autre ? expliqua Joseph en écartant les mains. Il craignait pour la sécurité de ses filles et de notre vieille mère.
    — Et lors de l’enquête ? Elizabeth n’a rien dit ? Rien du tout ?
    — Non. Le coroner l’a informée que c’était le moment ou jamais de se défendre, mais elle est restée assise à le fixer avec des yeux vides et froids. Cela l’a irrité, et le jury aussi, dit Joseph en soupirant. Le jury a conclu que Ralph avait été tué par Elizabeth Wentworth et le coroner l’a fait conduire à Newgate en attendant son procès pour meurtre aux assises. Il a ordonné que, pour outrage au tribunal, elle soit enfermée dans la basse-fosse réservée aux condamnés. Et alors…
    — Oui ?
    — Alors Elizabeth s’est retournée vers moi. Juste une seconde. Il y avait une telle détresse dans ses yeux, messire… Pas de la colère, juste de la détresse. » Joseph se mordit à nouveau les lèvres. « Jadis, quand elle était petite, elle venait souvent chez moi. Mes deux frères me considéraient un peu comme un rustaud, mais Elizabeth, elle, adorait la ferme. Dès qu’elle arrivait, elle se précipitait pour voir les animaux. » Il sourit tristement. « Enfant, elle voulait toujours jouer avec les moutons et les cochons comme avec des animaux domestiques, et elle pleurait quand ils ne se laissaient pas faire. » Il lissa le mouchoir chiffonné et déchiré. « Elle m’en a brodé une série, vous savez, il y a deux ans. J’en ai fait du joli ! Et voilà, maintenant que je vais la voir dans cette abominable prison, elle reste couchée là, dans la crasse, comme si elle n’avait plus rien à attendre que la mort. Je la prie, je la conjure de parler, et elle, elle me regarde sans me voir, comme si je n’étais pas là. Et elle comparaît samedi, dans cinq jours seulement. » Sa voix s’éteignit et il chuchota : « Je me demande parfois si elle n’est pas possédée.
    — Allons Joseph, sortez-vous ces idées de la tête. »
    Il me lança un regard implorant. « Pouvez-vous l’aider, messire Shardlake, pouvez-vous la sauver ? Vous êtes mon dernier espoir. »
    Je gardai le silence un moment et choisis mes mots avec soin : « Les preuves contre elles sont sérieuses. Elles suffiraient à satisfaire un jury, à moins qu’elle n’ait quelque chose à dire pour sa défense. » Je m’interrompis, puis demandai : « Vous êtes sûr qu’elle n’est pas coupable ?
    — Oui »,
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