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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable
Autoren: Christopher John Sansom
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    J’ avais quitté de bonne heure ma maison de Chancery Lane pour me rendre à l’hôtel de ville où, mandaté par le Conseil de la Cité, je devais discuter d’un procès. Si l’affaire beaucoup plus sérieuse qui m’attendait à mon retour me tracassait, je pris néanmoins plaisir à sentir l’air tiède et doux du petit matin en descendant l’artère silencieuse de Fleet Street. Je ne portais qu’un léger pourpoint sous ma robe noire d’avocat, le soleil brillant déjà comme une boule incandescente dans le ciel limpide de cette fin du mois de mai. Monté sur mon vieux cheval Chancery, qui allait au pas, je regardais les feuilles des arbres en repensant à mon désir de fuir les foules turbulentes de Londres. D’ici deux ans, j’aurais quarante ans, l’âge où commence la vieillesse ; si les affaires marchaient bien, je pourrais me retirer. Je traversai le pont sur la Fleet, avec ses statues des anciens rois Gog et Magog et, à l’approche du mur d’enceinte de la Cité qui se dressait au-delà, me préparai à affronter la puanteur et le vacarme de Londres.
    À l’hôtel de ville, je rencontrai le maire, Hollyes, et l’huissier du Conseil de la Cité. Lequel conseil avait déposé une plainte devant l’assise 1 des nuisances, contre l’un de ces rapaces qui rachetaient les monastères abandonnés depuis la Dissolution. En ce printemps 1540, le dernier d’entre eux venait d’être vendu. Le spéculateur en question était à ma grande honte un confrère de Lincoln’s Inn, un coquin avide et hypocrite du nom de Bealknap.Il avait mis la main sur un petit couvent de Londres et, au lieu de détruire l’église, y avait aménagé quantité de logements infâmes qu’il exploitait comme maisons de rapport. Il avait fait creuser une fosse d’aisances commune pour ses locataires, mais, le travail ayant été bâclé, les occupants des maisons avoisinantes, propriété de la Cité, se trouvaient fort incommodés par d’immondes infiltrations dans leurs caves.
    La cour avait ordonné à Bealknap de prendre les dispositions nécessaires, mais le drôle avait déposé une plainte en révision auprès de la cour du banc du roi 2 , sous prétexte que la charte originale du couvent l’excluait de la juridiction de la Cité et qu’il n’était donc pas tenu de faire quoi que ce soit. L’affaire devait être entendue devant le juge la semaine suivante. J’informai le maire que les chances de Bealknap étaient minces, précisant qu’il s’agissait d’un de ces fieffés coquins comme en rencontrent parfois les avocats, qui prennent un plaisir pervers à engager du temps et de l’argent dans des procès incertains plutôt que d’admettre leur échec et de faire réparation comme des gens civilisés.
    J’avais prévu de rentrer par où j’étais venu, par Cheapside, mais, en arrivant au carrefour de Lad Lane, je trouvai Wood Street obstruée par une charrette renversée, qui transportait une cargaison de plomb et de tuiles provenant de la démolition du couvent de St Bartholomew. Un tas de tuiles moussues s’était répandu sur toute la rue. L’attelage de la grande charrette se composait de deux puissants chevaux de trait, dont l’un avait été détaché par le conducteur ; l’autre, couché sur le flanc entre les brancards, lançait des ruades à l’aveuglette, fracassant des tuiles de ses énormes sabots, soulevant d’impressionnants nuages de poussière. Il hennissait, terrifié et roulait des yeux fous en direction de l’attroupement qui se formait. J’entendis quelqu’un dire que d’autres charrettes étaient bloquées presque jusqu’à Cripplegate.
    Ce n’était pas la première fois que j’assistais à semblable scène dans la Cité ces derniers temps. Partout on entendait le bruit des pierres qui s’écroulaient à mesure qu’étaient détruits les vieux bâtiments : tant de lieux s’étaient vidés que, même dans la villesurpeuplée, les courtisans et autres spoliateurs entre les mains desquels ils étaient tombés ne savaient qu’en faire.
    Je tournai bride afin de m’engager dans le dédale de ruelles menant à Cheapside, qui, à certains endroits, étaient à peine assez larges pour qu’un cheval et son cavalier puissent passer sous les encorbellements. Malgré l’heure encore matinale, les ateliers étaient ouverts. Une foule dense et pressée d’ouvriers, de marchands ambulants, de porteurs d’eau courbés sous le poids de leurs lourds paniers coniques
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