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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable
Autoren: Christopher John Sansom
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ralentissait mon avance. Il n’avait guère plu pendant le dernier mois, et les affaires de ces derniers allaient bon train car les tonneaux étaient vides. Je repensai à mon rendez-vous : je le redoutais, et j’allais y arriver en retard.
    La chaleur faisait monter du cloaque au milieu de chaque ruelle une puanteur qui prenait à la gorge. Lorsqu’un cochon, le groin souillé d’immondices, traversa juste devant Chancery, le faisant broncher, je lâchai un juron bien senti. Deux apprentis en pourpoint bleu, qui rentraient, l’œil bouffi, de quelque fête nocturne, se retournèrent en m’entendant ; l’un d’eux, un jeune gaillard trapu aux traits grossiers, m’adressa un sourire méprisant. Je serrai les lèvres et éperonnai Chancery. Je m’imaginai tel qu’ils devaient me voir : un avocat bossu à la mine de papier mâché, en robe et toque noires, un plumier et une dague à la taille en lieu et place d’une épée.
    C’est avec soulagement que j’arrivai sur la large artère pavée de Cheapside, où des foules se pressaient autour des éventaires du marché. Sous les auvents aux couleurs vives, les colporteurs criaient : « Tout nouveau, tout beau, j’ai ce qu’il vous faut ! », ou discutaient avec des ménagères en coiffe blanche. Çà et là, une riche dame se promenait entre les étals avec ses serviteurs armés, le visage caché par un masque en tissu pour protéger du soleil son teint blanc.
    En contournant la masse imposante de St Paul, j’entendis un vendeur de pamphlets crier à tue-tête. Une pile de feuillets sous le bras, le gamin, un maigrichon vêtu d’un pourpoint taché, hurlait à la cantonade : « L’infanticide de Walbrook emprisonnée à Newgate ! » Je me penchai pour lui donner une piécette. Il se lécha le doigt, détacha un exemplaire de la liasse et me le tendit, puis continua à glapir : « Le crime le plus abominable de l’année ! »
    Je pris le temps de lire le texte à l’ombre de la cathédrale, dont les abords étaient comme d’habitude encombrés de mendiants, adultes et enfants, appuyés contre les murs, maigres et en haillons,exposant leurs plaies et difformités dans l’espoir de récolter quelque aumône. Je détournai les yeux pour ne pas croiser de regard suppliant et les reposai sur le libelle : sous une gravure grossière représentant un visage de femme — cela aurait pu être n’importe qui car la gravure n’était qu’une ébauche de visage couronnée de cheveux en désordre —, je lus : Crime horrible à Walbrook
Un enfant assassiné par sa cousine jalouse Le seize mai dernier au soir, jour du sabbat, dans la demeure de sir Edwin Wentworth, habitant Walbrook et membre de la guilde des merciers, son fils unique, un garçon de douze ans , a été découvert au fond du puits du jardin, la nuque brisée . Les filles de sir Edwin, âgées de quinze et seize ans, ont raconté comment leur cousine, Elizabeth Wentworth , une orpheline que sir Edwin avait recueillie par charité à la mort de son père, avait attaqué le petit garçon avant de le pousser dans le puits. Elle est emprisonnée à Newgate où elle comparaîtra devant les juges le vingt-neuf mai prochain. Elle refuse de parler et subira sans doute le supplice de la presse . Si elle plaide et est déclarée coupable, elle sera pendue à Tyburn le prochain jour d’exécutions .
    Le texte, grossièrement imprimé sur du mauvais papier, me laissa des marques d’encre sur les doigts quand je le mis dans ma poche. Je tournai dans Paternoster Row. L’affaire, désormais livrée au public, offrait des sensations fortes contre un demi-penny. Innocente ou coupable, comment cette fille obtiendrait-elle à présent un procès équitable ? Le développement de l’imprimerie nous avait apporté la Bible anglaise, qui, sur ordre du roi l’an dernier, se trouvait désormais dans chaque église ; mais il avait aussi entraîné l’apparition de ce genre de publication qui engraissait les imprimeurs des bas quartiers et donnait du travail au bourreau. Comme nous l’ont appris les Anciens, il n’existe rien sous le soleil qui ne soit susceptible de corruption, même la chose la plus belle.
    Le soleil était presque à son zénith lorsque j’attachai Chancery devant ma porte. Le ruban de ma toque laissa une marque humide sous mon menton quand je le dénouai. Joan, ma femmede charge, ouvrit la porte en me voyant descendre. Son visage rond paraissait inquiet.
    « Il est là, chuchota-t-elle en
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