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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus
Autoren: Robert Margerit
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eurent peine à se faire écouter. Le centre n’accueillait pas mal ces plaidoyers, et pour cause ! Il avait voté sinon l’expulsion des Soixante-Treize, du moins la mise hors la loi des vingt-deux Girondins en fuite après le 2Juin. Les modérés les plus notoires, Cambacérès, Treilhard, entre autres, avaient signé comme membres du Comité de législation, l’arrestation des Dantonistes, approuvée par Sieyès. Mais les ex-Dantonistes, bon nombre des Soixante-Treize et les rescapés des Vingt-Deux, formant désormais la droite, ne souffraient plus d’entendre justifier les hommes dont leurs amis et eux-mêmes avaient été, disaient-ils, les innocentes victimes. Ils exigèrent que les prévenus s’expliquassent enfin. Thibaudeau leur donna la parole. Billaud-Varenne se leva et attaqua aussitôt.
    « On nous accuse de terrorisme, dit-il. Les responsables de la Terreur, ce n’est pas nous. Ce sont ceux qui l’ont rendue inévitable et nécessaire pour lutter contre les ennemis de la république. Ce sont ceux qui, parjures au serment d’unité et d’indivisibilité, ont plongé la France, déjà prise à la gorge par l’étranger, dans les sanglantes dissensions du fédéralisme ; ceux qui, à Lyon, à Bordeaux, dans le Midi, dans le Calvados, se sont faits les alliés des royalistes et de la coalition étrangère. Ce sont…»
    Il ne put poursuivre. Toute la droite hurlait et les muscadins, à peu près seuls à occuper les tribunes ou les gradins publics, faisaient chorus. Les survivants des Vingt-Deux s’étranglaient de fureur. La Montagne leur criait : « On vous a laissé parler, laissez parler à votre tour ! » Impuissant à ramener le calme, Thibaudeau, abandonnant sa sonnette, se leva et se couvrit. Un peu de silence revint.
    « Pourquoi ces clameurs ? demanda Billaud. Ce que je dis est connu de tout le monde. Qui commandait les forces fédéralistes, à Caen ? Un royaliste émigré, Puisaye. Qui commandait, à Lyon ? Un royaliste émigré, Précy. À qui les fédéralistes de Toulon ont-ils ouvert leurs portes ? Aux Anglais, aux Espagnols et autres coalisés.
    — Jamais nous n’avons donné la main aux royalistes ! protesta Louvet au milieu du bruit renaissant.
    — Pas toi, ni Barbaroux, ni Guadet, ni Rebecqui, je le sais, mais bien d’autres. » Il se mit à citer des noms, des faits. Le vacarme s’enfla.
    Pendant la fin de la séance et durant les suivantes, les 4, 5, 6 Germinal, ce tumulte ne cessa guère. À tout instant, les accusés, pour se justifier, mettaient en cause d’autres représentants, qui répondaient de leur place, dans le brouhaha, ou se précipitaient à la tribune. Des controverses furieuses et longues éclataient, dégénéraient en attaques personnelles non moins interminables. Après les coups de boutoirs aux Girondins, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois chargeaient les Dantonistes, leur reprochant d’avoir, par leur politique de bascule, poussé à la Terreur en voulant se montrer plus révolutionnaires que les Enragés, les Jacques Roux, les Varlet, les Leclerc d’Oze, puis de s’être faits les persécuteurs de l’hébertisme et les apôtres de la modération alors qu’ils l’avaient rendue impossible. Un public de nouveau abondant et partagé ajoutait applaudissements et huées au désordre de ces débats. Les échos s’en répandaient dans les faubourgs, où l’agitation croissait dangereusement.
    Pour comble, le 6 au soir, Claude soupant chez les Dubon, au Pont-Neuf – un souper on ne peut plus frugal – apprit qu’un convoi de blé avait été pillé en route. Sur les dix-huit cents sacs de farine nécessaires à l’alimentation quotidienne des Parisiens, on n’en pourrait livrer aux boulangeries que neuf cents. Demain, le peuple ne toucherait qu’une demi-ration de pain ; le peuple, car les gens à l’aise trouvaient toujours moyen de s’en procurer, et du beau pain blanc. Depuis 89, cela ne changeait pas. « J’espère, ajouta Jean, recevoir dans la relevée de quoi faire distribuer une autre demi-livre avant la fin du jour, mais ce n’est pas certain.
    — Voilà sans doute l’occasion qu’attendent les anciens Hébertistes, et en même temps les séides du royalisme, pour lancer les faubourgs contre la Convention.
    — Je ne crois pas, dit Dubon, que les agents royalistes poussent à la roue. Ils n’ont nul intérêt à favoriser, contre la droite conventionnelle où ils comptent des sympathies, un assaut
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