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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus
Autoren: Robert Margerit
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ce matin, au sortir d’un hameau, le convoi avait été accroché par quelques pillards essayant de détourner les dernières voitures. C’est pourquoi Jean chevauchait en arrière-garde, avec quatre gendarmes et un brigadier.
    Pendant que le corpulent mais encore leste commissaire – il aurait cinquante ans la décade prochaine – galopait sur le flanc de la colonne, une fusillade crépita en tête. Diantre ! C’était sérieux !
    En effet, comme il put le constater bientôt, il s’agissait d’une véritable embuscade. Un chêne abattu dans un tournant barrait la route. À droite, à gauche, des hommes dissimulés derrière les arbres tiraient sur les gendarmes formant l’avant-garde du convoi. Ils avaient dû reculer et s’abriter, eux aussi, pour riposter, car la cavalerie est inefficace contre des tirailleurs disséminés sous bois. Seuls, cinq ou six des soldats nationaux, demeurés en selle, sabre ou pistolet au poing, tourbillonnaient au milieu d’une centaine de paysans – ou d’individus habillés en paysans – qui, avec leurs terribles faux redressées, attaquaient les véhicules. Les charretiers se défendaient vaillamment à coups de fouet. Mais ni eux ni les gendarmes ne tiendraient longtemps en respect cette populace. Poussant des jambes sa monture et ouvrant à deux mains son manteau pour montrer l’écharpe bleu, blanc, rouge qui lui barrait la poitrine, Jean cria : « Arrêtez, citoyens ! Au nom de la loi, au nom du Comité de Salut public, je vous somme…»
    Le respect de la loi, la crainte inspirée par le farouche Comité de l’an II s’étaient éteints avec la Terreur. Pour toute réponse, des balles sifflèrent. Le sous-lieutenant commandant l’escorte détourna juste à temps, d’un revers de sabre, une faux qui visait Dubon au ventre. « Vous vous feriez tuer, dit l’officier en le conduisant à l’écart. Ces canailles n’ont rien de commun avec des citoyens. Ce sont des ennemis de la république, commandés militairement. Regardez là-bas. »
    De l’autre côté de la route, on apercevait entre les ramures à peine verdissantes un homme assez grand, debout, couvert d’une lévite noire à triple collet, une grosse cocarde au chapeau : ce qui ne prouvait rien. Derrière lui, une amazone tenait en main un autre cheval. Les deux personnages se trouvaient trop loin pour que l’on discernât leurs traits. Quelques jeunes gens, grossièrement vêtus mais portant moustaches et cadenettes, entouraient cet individu à la façon d’aides de camp attendant leurs ordres. Les uns après les autres, ils se détachaient en courant vers le terrain de l’action, manifestement pour coordonner les mouvements de la racaille à faux avec la progression des tirailleurs.
    « Nous allons être enveloppés, dit le sous-lieutenant. Il faut sacrifier les premières voitures et faire faire demi-tour aux autres le plus vite possible. Il n’existe pas d’autre espoir. Croyez-moi, citoyen commissaire. Si j’avais seulement cinquante gendarmes, je ne vous proposerais pas de fuir. »
    Mais alors, répondant comme par miracle au vœu de l’officier, un claironnement de trompettes retentit et s’approcha en foudre tandis que des sabots nombreux battaient le sol. Un rang de hussards en uniforme gris, aux talpacks rouge et blanc, la pelisse soulevée par le vent de la course, déboula dans le tournant, puis un deuxième, un troisième, un quatrième, qui sautèrent tour à tour le chêne abattu et foncèrent, sabre haut, sur les paysans. Un second peloton suivait. Il s’arrêta. Les cavaliers, décrochant leur fusil suspendu à l’arçon, mirent prestement pied à terre pour aller renforcer les uniformes bleus en train de tirailler sous bois. En un instant, tout fut terminé. Les assaillants s’égaillèrent, fondirent, se coulèrent dans les taillis, emmenant leurs blessés. L’homme en noir, l’amazone avaient disparu. Seuls restaient quelques taches de sang, ça et là, et un mort avec un coup de pistolet en plein cœur : un vrai campagnard à en juger par ses mains calleuses, son teint recuit, ses forts relents d’étable. Pour leur part, les gendarmes comptaient trois blessés légèrement atteints.
    Le secours qui avait si heureusement mit fin au combat était dû à un escadron du 3 e   hussards. Employé dans les derniers temps en Vendée, à l’armée de Hoche, il rejoignait le régiment en Lorraine. Habitué à l’insécurité des campagnes, il marchait sur le
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