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Les foulards rouges

Les foulards rouges

Titel: Les foulards rouges
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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terrifiante,
l’aube le trouverait endormi dans un coin de l’atelier, souffrant d’un cruel
mal de tête et le cœur au bord des lèvres, mais il l’acceptait volontiers. En
effet, la contrepartie de l’ivresse lui procurait au moins cet avantage : sonné,
abruti, il allait quelques heures sombrer dans un sommeil de plomb.
    Dormir, c’est-à-dire oublier.
    Martin Champelier se
hâtait aux premières lueurs de l’aube hivernale. Comme les jours précédents, il
s’était loué à un riche paysan des environs de Marcoussis, un homme sanguin
dont le mauvais caractère et les rudes manières usaient rapidement la meilleure
des bonnes volontés.
    Hier, Champelier avait reçu un coup de pied et
une paire de gifles au motif fort discutable qu’il n’avançait pas assez vite en
besogne. Une fausseté, une de plus, mais discuter ou protester n’aurait servi à
rien, risquant même de provoquer son renvoi.
    Avec la guerre qui s’éternisait, les mauvaises
récoltes et tous les événements qui secouaient Paris et le pouvoir royal, les
maîtres ne manquaient pas de main-d’œuvre. Combien étaient-ils, les manouvriers
de son espèce, bons à tout et à rien, paysans très pauvres se vendant chez les
riches pour moissonner, vendanger, faner, battre en grange, soigner les bêtes, nettoyer
les écuries ou réparer les outils ?
    Champelier hâta le pas. L’aube blanchissait et
il lui restait une bonne demi-lieue à parcourir avant d’arriver à la ferme.
    Âgé de vingt-six ans, Martin Champelier était
un homme étrange puisque la sagesse ne lui venait pas et que sa résignation n’était
qu’apparente. Marié, père de deux enfants, il aurait dû, lui disait-on, ne
jamais se révolter, encaisser les coups et oublier. Or, il ne satisfaisait pas
à toutes ces conditions qui auraient fait de lui un homme malheureux mais sans
histoires.
    Ne pas se révolter ? Certes. Il ne s’était
pas révolté, la veille, sous les coups. Et pas davantage trois ans plus tôt
lorsque le seigneur avait violé sa trop jolie jeune femme.
    Subir les coups ? Oui, évidemment. Subir
en se taisant, en se contentant de se protéger le visage, geste que les maîtres
toléraient la plupart du temps.
    Oublier ? Ah ça, non ! Chez les
Champelier, on n’oubliait pas. Tout au contraire. Et, de génération en génération,
selon un usage qui remontait au moins au roi Henri le troisième, on se disait
peines, griefs, doléances et rancœurs. Comme il ferait pareillement, le jour
venu, avec ses propres fils.
    La liste des souffrances était longue. À
laquelle on joignait une autre, plus courte cependant. Celle des brutes contre
lesquelles on n’avait pas levé la main ou saisi la fourche. Paysans riches, gens
de police, soldats, intendants, seigneur du lieu et, tout là-haut, exécré, le
roi qui permettait tout cela.
    Où iraient toutes ces colères qui se
transmettaient, pures comme le diamant, à travers les siècles ?
    S’il l’ignorait, ou n’en avait qu’une très
vague idée, le jeune homme savait que là n’était point la question. Il devait « transmettre »
et un jour, probablement, cette formidable colère déferlerait, balayant tous
les nantis sur son passage.
    Le chemin, gelé, était dur et fatiguait les
jambes. Heureusement, il arrivait au village, tout engourdi de gel.
    Et, aussitôt, quelque chose attira son regard.
Quelque chose qu’on avait posé sur les marches, devant le parvis de l’église.
    La chose brillait comme du verre, un verre
rendu plus scintillant encore par les milliers de cristaux de givre qui s’y
étaient déposés.
    Curieux, il s’approcha, essuya le verre de la
main et poussa un long hurlement.
    Martin Champelier se prit la tête à deux mains
incapable, à présent, de pousser un cri, la gorge tenue comme dans un gant de
fer par la terreur qui le gagnait tout entier.
    Il sentit qu’on sortait des maisons, qu’on s’approchait.
D’autres, à présent, hurlaient, hommes et femmes. Certains se signaient avec
frénésie. D’autres, un genou en terre, priaient avec ardeur.
    Puis, un grand silence se fit quand les portes
de l’église s’ouvrirent sur le curé.
    C’était un vieil ecclésiastique, bon et érudit,
qui avait baptisé presque tous les habitants du hameau.
    Il s’approcha du cercueil de verre, resta un
instant pétrifié, puis se signa en murmurant :
    — Quelle abomination !… Quelle
horreur !… Mon Dieu, pareille chose est-elle donc possible ?
    Il croyait au
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