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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial
Autoren: Pierre Naudin
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compris, aucun d’eux – pas même Paindorge – n’avait osé commenter cette malaventure.
    –  Où serons-nous ce soir, Serrano ?
    –  Si nous partons maintenant, nous serons avant la nuit à Aranda de Duero.
    –  Alors, mes amis, en selle !
    Ils repartirent, Tristan devant, Paindorge derrière, bien qu’il ne se souciât plus d’éparpiller les crottins. Il faisait chaud, toujours. Ils s’enfoncèrent dans un long pli de collines parfois boisées, parfois nues où s’entassaient des roches çà et là vêtues de haillons d’herbes rôties au soleil, tels des pelages de cerfs ou de sangliers. Les lits des ruisseaux montraient leurs pierres, leurs gravillons et leurs vases croûteuses, fendillées, où subsistaient les paraphes des oiseaux qui s’étaient abreuvés là peu avant la dernière sécheresse. Quelques maisons révélaient une vie, des vies que des chiens partageaient. Une sensation de force et de vastitude se dégageait de ce pays, transition entre la France verdoyante et l’âpre mystère des cités et des sols qu’on allait trouver avant d’atteindre Madrid, une petite ville sans rien à y voir, selon Serrano.
    –  Le roi Pèdre est-il venu jusqu’ici ? demanda Paindorge au trouvère.
    –  Il connaît l’Espagne mieux que moi. Les chevauchées sont pour lui un délice. Il doit être dans un état de fureur que je n’ose imaginer… Il débouchera à bas bruit dans quelques cités toutes quiètes, et pour se venger du bel Enrique, il y fera commettre des horreurs… C’est un lobo, un loup… mais qui blessé, à l’inverse des vrais, ne se laissera pas dévorer par ses frères. Pour le sauver, il lui faudrait un Cid. Or, l’Espagne porte encore le deuil de ce gran capitân parce qu’il fut unique.
    –  On n’a pas de Cid en France, dit Lebaudy.
    –  Erreur ! fit Tristan. Charles Martel, qui a repoussé vélocement les Mahoms, mérite notre respect. Grâce à lui, la France n’est pas l’Espagne.
    –  C’est vrai, approuva de loin Paindorge. Peut-être un jour, tant les gens sont bêtes, prendront-ils Guesclin pour une espèce de Cid.
    –  Ils auront alors de la merde dans les yeux !
    Yvain Lemosquet fut le seul à s’ébaudir d’une observation qui fut certes approuvée, mais dans un silence dédié sans doute aux morts de Briviesca et d’ailleurs.
    Le soir, à proximité d’Aranda de Duero qu’ils avaient contourné par l’ouest, Serrano, une dernière bouchée de jambon avalée, empoigna sa guiterne et chanta certainement pour Teresa :
    Dios que nos diô las aimas
     Conseio nos darâ
    Al abbal don Sancho
    Tornan de castigar
    Commo sirva a dona Ximena
    E a las fijas que ha E a todas las duenas
    Que con ellas estân…
    Alors que Serrano accordait de nouveau son instrument, Teresa reprit la chanson :
    I se echava Mîo Cid Después que fue çenado
    Un suenol priso dulçe
    Tan bien se adurmio
     El ângel Gabriel
     À él vino de sueno :
     « Cavalgad Cid
     El buen Campeador
     Ca nunca en tan buen punto
    Cavalgô varân. »
    La voix de la pucelle était fragile, pure, délicieuse, songea Tristan, toujours inquiet. Celle de Serrano s’y mêla, mais basse et comme timide pour ne point nuire à celle de la chanteuse :
    Otro dîa manana
     Piensan de cavalgar
     Es dîa a de plazo
    Sepades que non mâs
    À la sierra de Miedes
     Ellos ivan posar (389) …
    Était-ce la fin ? Sans doute, car Teresa qui s’était levée pour chanter se rasseyait auprès de Simon dont, d’un bras, elle enveloppait les épaules. Tristan entrevit une perle dans son œil. Il sut qu’il ne fallait rien dire parce que c’était elle qui parlerait.
    –  Il nous faudrait un Cid, dit-elle à voix basse.
    « Elle a raison », songea Tristan. « Il lui faudrait un Cid… et je ne suis qu’un pauvre hobereau empêtré dans ses aventures et embourbé dans des sentiments qu’il ne comprend pas ! »
    *
    Le lendemain, ils repartirent d’un cœur plus léger : la nuit avait été tiède, sereine. Le soleil montait prudemment dans le ciel. On était en avril ; l’été, cette campagne encore ensommeillée devait cuire dès la fin des matinées. L’ombre y manquait déjà puisque des arbres peu nombreux verdoyaient çà et là sur un seul bord du chemin. Lebaudy regretta les sycomores de Lerma et les abris qu’ils leur avaient offerts.
    –  Quand ? demanda Tristan.
    –  Quand on est allé manger un tantinet après nos achats.
    –  Il y avait des
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