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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II
Autoren: Michel de Montaigne
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Et s'il est ainsi, c'est une esperance bien vaine
aux graveleux, de tirer leur guerison du sang d'une beste, qui s'en
alloit elle mesme mourir d'un pareil mal. Car de dire que le sang
ne se sent pas de cette contagion, et n'en altere sa vertu
accoustumée, il est plustost à croire, qu'il ne s'engendre rien en
un corps que par la conspiration et communication de toutes les
parties : la masse agist tout'entiere, quoy que l'une piece y
contribue plus que l'autre, selon sa diversité des operations.
Parquoy il y a grande apparance qu'en toutes les parties de ce
bouc, il y avoit quelque qualité petrifiante. Ce n'estoit pas tant
pour la crainte de l'advenir, et pour moy, que j'estoy curieux de
cette experience : comme c'estoit, qu'il advient chez moy,
ainsi qu'en plusieurs maisons, que les femmes y font amas de telles
menues drogueries, pour en secourir le peuple : usant de mesme
recepte à cinquante maladies, et de telle recepte, qu'elles ne
prennent pas pour elles, et si triomphent en bons evenemens.
    Au demeurant, j'honore les medecins, non pas suivant le
precepte, pour la necessité (car à ce passage on en oppose un autre
du prophete, reprenant le Roy Asa d'avoir eu recours au medecin)
mais pour l'amour d'eux mesmes, en ayant veu beaucoup d'honnestes
hommes et dignes d'estre aymez. Ce n'est pas à eux que j'en veux,
c'est à leur art, et ne leur donne pas grand blasme de faire leur
profit de nostre sottise, car la plus part du monde faict ainsi.
Plusieurs vacations et moindres et plus dignes que la leur, n'ont
fondement, et appuy qu'aux abuz publiques. Je les appelle en ma
compagnie, quand je suis malade, s'ils se rencontrent à propos, et
demande à en estre entretenu, et les paye comme les autres. Je leur
donne loy, de me commander de m'abrier chauldement, si je l'ayme
mieux ainsi, que d'autre sorte : ils peuvent choisir d'entre
les porreaux et les laictues, dequoy il leur plaira que mon
bouillon se face, et m'ordonner le blanc ou le clairet : et
ainsi de toutes autres choses, qui sont indifferentes à mon appetit
et usage.
    J'entens bien que ce n'est rien faire pour eux, d'autant que
l'aigreur et l'estrangeté sont accidens de l'essence propre de la
medecine. Lycurgus ordonnoit le vin aux Spartiates malades :
Pourquoy ? par ce qu'ils en haissoyent l'usage, sains :
Tout ainsi qu'un gentil-homme mon voisin s'en sert pour drogue
tressalutaire à ses fiebvres, par ce que de sa nature il en hait
mortellement le goust.
    Combien en voyons nous d'entr' eux, estre de mon humeur ?
desdaigner la medecine pour leur service, et prendre une forme de
vie libre, et toute contraire à celle qu'ils ordonnent à
autruy ? Quest-ce celà, si ce n'est abuser tout destroussément
de nostre simplicité ? Car ils n'ont pas leur vie et leur
santé moins chere que nous ; et accommoderoient leurs effects
à leur doctrine, s'ils n'en cognoissoyent eux mesmes la
faulceté.
    C'est la crainte de la mort et de la douleur, l'impatience du
mal, une furieuse et indiscrete soif de la guerison, qui nous
aveugle ainsi : C'est pure lascheté qui nous rend nostre
croyance si molle et maniable.
    La plus part pourtant ne croyent pas tant, comme ils endurent et
laissent faire : car je les oy se plaindre et en parler, comme
nous. Mais ils se resoluent en fin : Que feroy-je donc ?
Comme si l'impatience estoit de soy quelque meilleur remede, que la
patience.
    Y a il aucun de ceux qui se sont laissez aller à cette miserable
subjection, qui ne se rende esgalement à toute sorte
d'impostures ? qui ne se mette à la mercy de quiconque a cette
impudence, de luy donner promesse de sa guerison ?
    Les Babyloniens portoyent leurs malades en la place : le
medecin c'estoit le peuple : chacun des passants ayant par
humanité et civilité à s'enquerir de leur estat : et, selon
son experience, leur donner quelque advis salutaire. Nous n'en
faisons guere autrement : il n'est pas une simple femmelette,
de qui nous n'employons les barbottages et les brevets : et
selon mon humeur, si j'avoy à en accepter quelqu'une, j'accepterois
plus volontiers cette medecine qu'aucune autre : d'autant
qu'aumoins il n'y a nul dommage à craindre.
    Ce qu'Homere et Platon disoyent des Ægyptiens, qu'ils estoyent
tous medecins, il se doit dire de tous peuples : Il n'est
personne, qui ne se vante de quelque recepte, et qui ne la hazarde
sur son voisin, s'il l'en veut croire.
    J'estoy l'autre jour en une compagnie, où je ne sçay qui, de ma
confrairie, apporta la
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