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Les disparus

Titel: Les disparus
Autoren: Daniel Mendelsohn
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ou
croyais savoir que la petite sœur adorée de mon grand-père avait été Tante
Jeanette ? Seul mon grand-père, dont le nom était Abraham, avait un surnom qui
me paraissait intelligent : Aby. Et cela contribuait à renforcer mon impression
qu'il était une personne d'une authenticité transparente et totale, une
personne en qui on pouvait avoir confiance.
    Parmi ces gens, il y en avait
certains qui pleuraient lorsqu'ils me voyaient. J'entrais dans la pièce et ils
me regardaient (des femmes, pour la plupart), et elles portaient leurs mains
tordues, avec ces bagues et ces nœuds déformés, gonflés et durs comme ceux d'un
arbre qu'étaient leurs phalanges, elles portaient ces mains sur leurs joues
desséchées et disaient, d'une voix un peu essoufflée et dramatique, Oy, er
zett oys zeyer eynlikh tzu Shmiel !
    Oh, comme il ressemble à
Shmiel !
    Et elles se mettaient à pleurer ou
à pousser des petits cris étouffés, tout en se balançant d'avant en arrière,
leurs pulls roses ou leurs coupe-vent tressautant sur leurs épaules affaissées,
et commençait alors une longue rafale de phrases en yiddish dont, à cette
époque, j'étais évidemment exclu.
     
     

     
    De ce Shmiel , bien
entendu, je savais quelque chose : le frère aîné de mon grand-père qui, avec sa
femme et ses quatre filles superbes, avait été tué par les nazis pendant la
guerre. Shmiel. Tué par les nazis. C'était là, nous le comprenions tous,
la légende non écrite des quelques photos que nous avions de lui et de sa
famille, qui étaient désormais rangées soigneusement dans un sac en plastique,
à l'intérieur d'une boîte qui se trouvait elle-même à l'intérieur d'un carton
dans la cave de ma mère. Un homme d'affaires à l'allure prospère, âgé de
cinquante-cinq ans environ, se tenant, avec la fierté d'un possédant, devant un
camion, en compagnie de deux chauffeurs en uniforme ; une famille rassemblée
autour d'une table, les parents, les quatre petites filles, un étranger inconnu
; un homme élégant en manteau à col de fourrure, portant un chapeau mou ; deux
jeunes gens en uniforme de la Première Guerre mondiale, dont je savais que l'un
était Shmiel à l'âge de vingt et un ans, tandis que l'identité de l'autre était
impossible à deviner, inconnue et inconnaissable... Inconnue et inconnaissable
: cela pouvait paraître frustrant, mais cela conférait aussi une certaine
allure. Les photos de Shmiel et de sa famille étaient, après tout, plus fascinantes
que n'importe quelles autres photos de famille scrupuleusement conservées dans
les archives de la famille de ma mère, précisément parce que nous ne savions
presque rien de lui, d'eux. Leurs visages sans sourires, sans paroles,
semblaient, de ce fait, plus captivants.
    Pendant longtemps, il n'y a eu que
les photos muettes et, de temps en temps, une vibration désagréable dans l'air
lorsque le nom de Shmiel était prononcé. Cela n'arrivait pas souvent, du temps
où mon grand-père était encore vivant, parce que nous savions que c'était la
grande tragédie de sa vie, le fait que son frère et sa belle-sœur, et ses
quatre nièces, avaient été tués par les nazis. Même moi qui, lorsqu'il nous
rendait visite, adorais m'asseoir à ses pieds fourrés dans les pantoufles en
cuir souple et écouter ses nombreuses histoires sur « la famille »,
ce qui voulait dire naturellement sa famille, dont le nom avait été
autrefois Jäger (et qui, obligée de renoncer à Yumlaut au-dessus du a lorsqu'ils étaient arrivés en Amérique, était devenu successivement
Yaegers, Yagers, Jagers et enfin Jaegers, comme lui : toutes ces orthographes
figurent sur les pierres tombales à Mount Judah), cette famille qui, pendant
des siècles, avait possédé une boucherie et ensuite, beaucoup plus tard, une affaire
de viande en gros à Bolechow, une jolie ville, une petite ville animée, un
shtetl, un endroit célèbre pour son bois, sa viande et sa maroquinerie que
ses marchands expédiaient à travers toute l'Europe, un endroit où une
personne pouvait bien vivre, un endroit magnifique au pied des montagnes
–  même moi qui étais si proche de lui, qui, en grandissant, lui posais
si souvent des questions sur les histoires de famille, l'histoire, les dates,
les noms, les descriptions, les lieux, qu'il lui arrivait d'écrire, lorsqu'il y
répondait (sur de minces feuilles de papier à l'en-tête de la compagnie qu'il
avait possédée autrefois, à l'encre bleue d'un gros stylo
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