Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les disparus

Titel: Les disparus
Autoren: Daniel Mendelsohn
Vom Netzwerk:
en
tweed impeccable, un pantalon aux plis parfaitement écrasés, avec une cravate
au nœud extravagant, une pochette de soie sur la poitrine, progressait selon un
ordre méticuleux, s'arrêtant devant chaque tombe, celle de sa mère, celle de sa
sœur, celle de son frère, celle de sa femme, auxquels il avait survécu, et
lisait les prières en hébreu dans une sorte de marmonnement précipité. Si vous
roulez le long de l'Interboro Parkway dans le Queens et que vous vous arrêtez
près de l'entrée du cimetière Mount Judah, que vous regardez par-dessus le mur
de pierre sur la route, vous pouvez tous les voir là, vous pouvez lire les
prénoms d'adoption, un peu grandioses, accompagnés des mentions rituelles : femme,
mère et grand-mère bien-aimée ; mari bien-aimé ; mère.
       Donc, oui : il était soucieux
des morts. Il allait s'écouler de nombreuses années avant que je me rende
compte à quel point il était attentif, mon beau et drôle de grand-père, qui
connaissait tant d’ histoires, qui s'habillait si fameusement bien : avec
son visage ovale si délicatement rasé, ses yeux bleus qui clignaient et son nez
droit qui s'achevait par un renflement à peine suggéré, comme si celui qui
l'avait conçu avait décidé, à la dernière minute, d'y ajouter une touche
d'humour ; avec ses cheveux clairsemés, soigneusement peignés, ses vêtements,
son eau de Cologne, ses manucures, ses plaisanteries notoires, et ses histoires
intriquées et tragiques.
     

     
    Mon grand-père venait chaque
année pendant l'été, puisque le climat de Long Island, l'été, était moins
oppressant que celui de Miami Beach. Il passait, chaque fois, quelques
semaines, accompagné par l'une des quatre épouses à laquelle il se trouvait
marié à ce moment-là. Quand il venait séjourner, il occupait (lui et l'épouse,
parfois) la chambre de mon petit frère avec les lits jumeaux étroits. Là, dès
son arrivée de l'aéroport, il suspendait son chapeau sur un abat-jour et pliait
soigneusement son manteau en tweed sur le dossier d'un fauteuil, et seulement
après allait s'occuper de son canari, Schloimele, qui veut dire Petit Salomon en yiddish : poser la cage sur le minuscule bureau d'enfant en chêne,
l'arroser de quelques gouttes d'eau simplement pour le rafraîchir un peu. Puis,
lentement, méticuleusement, il sortait ses affaires de ses bagages parfaitement
faits pour les poser délicatement sur un des deux lits minuscules de cette
chambre.
    Mon grand-père était fameux (au
sens où certains immigrants juifs et leurs familles disent de quelqu'un qu'il
est « fameux » pour une chose, ce qui signifie en général que
vingt-six personnes environ en ont entendu parler) pour plusieurs choses
– son sens de l'humour, les trois femmes qu'il avait épousées et dont, à
l'exception de celle qui lui avait survécu, il avait divorcé en rapide
succession après la mort de ma grand-mère, sa façon de s'habiller, certaines
tragédies familiales, son orthodoxie, sa manière de se rendre mémorable aux
serveuses et aux employées de magasin, été après été – mais, pour moi, les
deux traits saillants chez lui, c'étaient sa dévotion et ses vêtements
merveilleux. Quand j'étais enfant, puis adolescent, ces deux choses me
paraissaient être les frontières entre lesquelles résidait son étrangeté, son
européanisme : un territoire qui n'appartenait qu'à lui, à personne d'autre, un
espace dans lequel il était possible d'être à la fois matérialiste et pieux,
apprêté et religieux en même temps.
       La première des choses qu'il
sortait en défaisant ses bagages, c'était le sac en velours qui contenait les
trucs dont il avait besoin pour dire ses prières du matin – pour daven. Cela, il l'a fait tous les jours de sa vie depuis le jour du printemps 1915
où il a fait sa bar-mitsva jusqu'au matin qui a précédé le jour de juin 1980 où
il est mort. Dans ce sac de velours bordeaux doublé de satin, sur lequel était
brodée en fil d'or une menorah flanquée de deux lions de Judée rampants,
se trouvaient : son yarmulke ; un énorme taies à l'ancienne,
blanc et bleu délavé, avec ses franges qui chatouillaient, et dans lequel,
conformément aux instructions qu'il m'avait scrupuleusement dictées au cours
d'une chaude journée de 1972, quand j'avais douze ans, un an avant ma
bar-mitsva, il a été enterré ce jour de juin ; et les phylactères en cuir, ou tefillin, qu'il liait autour de sa tête et de son
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher