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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête
Autoren: Andrea H. Japp
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l’impatience de sa
nièce. Enfin, il extirpa une bouteille de terre cuite en annonçant d’un ton
gourmand :
    — Je vous ai rapporté... bien sûr, du vin aigre de
Modène pour votre toilette, mesdames. On prétend que sa noirceur rend la peau
laiteuse et douce comme un pétale de rose sous la rosée. Les élégantes
italiennes en font grand usage.
    — Vous nous gâtez trop, mon frère.
    — Bah, une babiole, rien de plus. Passons aux choses
sérieuses. Ah, ah, que vois-je dessus ma caisse... cinq aunes* de soie de
Gènes...
    Le cadeau était digne d’une princesse. Agnès dut se souvenir
de ce que dissimulait l’extrême prodigalité de son demi-frère pour ne pas se
ruer sur l’étoffe jaune safran afin de la tâter. Pourtant, elle ne put retenir
son exclamation :
    — Quelle magnificence ! Mon Dieu, à quoi
l’employer ? Je vais craindre de l’abîmer par une maladresse.
    — Songez alors, madame, que le rêve de toute soie est
de frôler votre peau.
    Le regard intense qu’il lui jeta lui fit baisser les yeux.
Il continua cependant du même ton enjoué :
    — Qu’est-ce donc que cette épaisse bourse de velours
cramoisi ? Qu’est-ce donc ? Il en monte des effluves grisants.
Savez-vous de quoi il s’agit, mademoiselle, plaisanta-t-il en se penchant vers
sa nièce bouche bée.
    — Certes non, mon oncle.
    — Eh bien alors, ouvrons-la.
    Il se dirigea vers la table et étala le mélange d’anis, de
coriandre, de fenouil, de gingembre, de genièvre, d’amande, de noix et de
noisette que les nantis aimaient à déguster avant le coucher afin de se
parfumer l’haleine et de faciliter la digestion.
    — Des épices de chambre, murmura la fillette d’un ton
admiratif et conquis.
    — Tout juste. Et pour ma mignonne, qu’avons-nous dans
notre sac à trésors ? Car je crois bien que votre anniversaire approche à
grands pas, n’est-ce pas, jolie demoiselle ?
    Mathilde sautillait d’impatience autour de son oncle. Elle
gazouilla, la gorge serrée par l’émotion :
    — Dans quelques semaines, mon oncle.
    — Voilà qui est parfait. Ainsi serai-je le premier à
vous le souhaiter et vous ne m’en voudrez pas de ma hâte, n’est-il pas
vrai ?
    — Oh, certes non, mon oncle !
    — Or donc, qu’avons-nous qui soit digne d’un
anniversaire de jeune princesse ? Ah ah... Une broche de cheveux d’argent
et de turquoise, réalisée par des orfèvres flamands, et un peigne de nacre de
Constantinople qui la rendra encore plus jolie et fera pâlir la lune de
jalousie...
    La fillette bouleversée osait à peine toucher le bijou en
forme de longue épingle. Sa lèvre inférieure tremblait comme si elle allait
fondre en larmes devant de telles beautés, et Agnès songea à nouveau que leur
vie fruste lui pèserait sous peu. Mais comment expliquer à ce qui n’était
encore qu’une enfante que dans quelques années, son oncle si charmeur ne
verrait en nièce de demi-sang qu’une nouvelle source de plaisir ? Agnès se
savait prête à tout pour l’éviter. Jamais il ne frotterait ses lourdes pattes
contre la peau tendre de sa fille. Heureusement, la masculinité de Clément le
protégeait de tels désirs et de bien d’autres choses. Si la rumeur des
insolites penchants de certains seigneurs était bien parvenue jusqu’à Souarcy,
Eudes n’aimait que les filles... à peine pubères.
    — Et enfin, ceci ! lança-t-il théâtralement en
sortant de la sacoche une sorte d’épais doigt de peau dont il tira la
cordelette avant d’en extraire un tube grisâtre.
    Une exclamation joyeuse échappa à Mathilde :
    — Madame ! Oh, madame ma mère... du sel indien.
Oh, c’est merveilleux, je n’en avais jamais vu. Puis-je le goûter ?
    — Plus tard. Allons, Mathilde, un peu de retenue !
Mabile ? Conduis ma fille à sa chambre. Il est tard, elle n’a déjà que
trop veillé.
    La petite fille salua avec grâce son oncle, qui déposa un
baiser sur ses cheveux, puis sa mère, avant de suivre à contre-cœur la
servante.
    — Ah ça, mon frère, j’avoue que je suis aussi
impressionnée que ma fille. On prétend que la comtesse de Bourgogne, Mahaut
d’Artois, en est si friande qu’elle en a fait récemment acheter quinze pains à
la foire de Lagny.
    — Si fait.
    — Mais je la croyais pauvre, et ce sel indien est,
dit-on, plus onéreux que l’or.
    — C’est que la bougresse geint beaucoup alors qu’elle
est fort riche. À deux sols d’or et cinq deniers la livre, quinze
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