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Les amours du Chico

Les amours du Chico

Titel: Les amours du Chico
Autoren: Michel Zévaco
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Il était bien loin de se
douter que s’il avait eu le courage de la prendre dans ses bras et
de plaquer ses lèvres sur ses lèvres, elle lui eût probablement
rendu son baiser, pâmée.
    Mais comme la semelle passait encore un coup à portée de sa
bouche, comme la tentation était trop forte, il réunit tout son
courage, et d’une voix implorante :
    – Si tu n’es pas fâchée, tu veux bien que…
    Il ne put achever sa phrase. Brusquement la semelle s’était
plaquée sur ses lèvres et les frottait avec une sorte de rage
nerveuse, comme si elle eût voulu les écorcher, les faire
saigner.
    Si naïf et si timide qu’il fût, le Chico comprit cette fois.
Ivre de joie, il posa ses lèvres partout sur cette semelle sans
s’inquiéter de savoir si elle était maculée ou non. Tiens ! il
avait bien baisé la terre où s’était posé le soulier ; il
pouvait, à plus forte raison, baiser le soulier lui-même.
    Et comme le pied se retirait lentement, semblant vouloir lui
rationner son humble bonheur, il allongea la tête, le suivit des
lèvres, se courbant davantage, jusqu’à poser sa face sur le bois du
tabouret.
    C’est là sans doute que voulait l’amener le petit pied, car il
cessa de se dérober. Alors, avec un sourire triomphant, avec un
soupir de joie satisfaite, elle leva son autre pied et le lui posa
sur la tête, d’un air dominateur qui semblait dire : « Tu
seras toujours ainsi sous mes pieds, puisque tu n’es bon qu’à cela.
Je te dominerai toujours, toujours ! car tu es ma chose, à
moi ! »
    Et elle le maintint longtemps ainsi, et il y serait bien resté
plus longtemps encore, le pauvre diable, tant il était heureux. Et
c’était en plus puéril, en plus sincère, avec la violence en moins
et la grâce mutine en plus, la répétition du geste de Fausta avec
Centurion.
    Son impérieux désir enfin satisfait, contente d’être arrivée à
ses fins, elle éprouva soudain une gêne indéfinissable et comme de
la honte aussi. Tout doucement, avec la crainte de lui faire mal,
et explique cela qui pourra, avec le remords de le priver de ce
pauvre bonheur, elle retira ses pieds.
    Lui, heureux d’avoir obtenu plus qu’il n’aurait osé espérer,
plus qu’il n’en avait jamais obtenu, en tout cas, la laissa faire,
ne chercha pas à prolonger son bonheur, redressa la tête, et
toujours agenouillé la contempla extasié.
    Alors, toute rouge – de plaisir ? de honte ? de
regret ? qui peut savoir ! – sans trop savoir ce qu’elle
disait :
    – Tu vois bien que je n’étais pas fâchée, dit-elle.
    Et comme elle lui souriait doucement en disant cela, il
s’enhardit un peu, se courba encore un coup, posa une dernière fois
ses lèvres sur le bout du pied, qui se cachait timidement, et se
releva enfin en disant très convaincu, avec un air de gratitude
profonde :
    – Tu es bonne ! Tiens, bonne comme la Vierge.
    Elle rougit davantage encore. Non, elle n’était pas bonne. Elle
avait été mauvaise et méchante. Au lieu de la remercier, il devrait
la battre, elle l’avait bien mérité. En se morigénant ainsi
elle-même, elle voulut tenter un dernier effort, et, à
brûle-pourpoint :
    – Est-ce vrai que tu as voulu poignarder le
Français ?
    À son tour il rougit comme si cette question eût été un reproche
sanglant. Il baissa la tête et fit signe oui, d’un air honteux.
    – Pourquoi ? fit-elle avidement.
    Elle espérait qu’il allait répondre enfin :
    – Parce que je t’aime et que je suis jaloux !
    Hélas ! encore un coup le pauvre Chico laissa passer
l’occasion. Il bredouilla :
    – Je ne sais pas !
    C’était fini. Il n’y avait plus rien à faire, rien à espérer. De
nouveau le dépit déchaîna la fureur en elle. Elle se mit à
trépigner, et rouge, de colère cette fois, elle cria :
    – Encore ! je ne sais pas ! je ne sais pas !
Tu m’agaces ! Tiens, va-t’en ! va-t’en !
    Cette explosion de colère subite, après sa gentillesse de tout à
l’heure le stupéfia. Il ne comprenait plus. Qu’avait-elle donc, bon
Dieu ! et que lui avait-il fait encore ?
    Comme il ne bougeait pas, dans son ébahissement, elle leva son
petit poing et, le repoussant brutalement, le frappant avec rage,
elle cria plus fort, en trépignant plus que jamais :
    – Va-t’en ! va-t’en !
    Il courba l’échine et se retira humblement.
    Or, s’il fût revenu à l’improviste, il eût pu voir deux larmes,
des perles brillantes, couler lentement sur
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