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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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mais mon père semble prendre plaisir à se laisser berner !
    Toutes voiles dehors, fendant la foule comme une caravelle les flots de l’océan, Gabrielle de Cintré se dirigeait justement vers nous. Sur une dernière œillade, elle venait de se séparer de son cavalier du moment, un gentilhomme à la mine conquérante qui la regardait s’éloigner d’un air complice.
    Ma mère, qui revenait également de notre côté, ne put éviter de saluer une femme qu’elle n’appréciait pourtant guère.
    — Je suis en eau, ma chère, positivement en eau ! déclara en l’abordant l’épouse adultère. Cette chaleur me tue !
    L’exagération était son mode d’expression préféré et elle ne cessait de se jouer à elle-même une perpétuelle comédie.
    — Il est vrai que le temps de ce printemps est des plus doux, admit ma mère du ton réservé dont elle ne se départait pas pour si peu. Les bougies chauffent aussi la salle. Sans parler de tous ces corps en mouvement…
    Elle considérait notre voisine comme elle aurait fait d’un insecte inconnu et un peu répugnant.
    On ne pouvait rêver deux créatures plus dissemblables. Malgré la parure de diamants offerte par mon père qui étincelait à son cou et à ses oreilles, malgré sa robe de brocart parsemée de perles, ma mère conservait jusqu’en ce soir de réjouissances une attitude nuancée de retenue qui contrastait de façon saisissante avec le rire en cascade, la chevelure de feu, le fard, l’ample décolleté généreusement pourvu que Gabrielle de Cintré exposait au-dessus d’un large vertugade de damas céladon broché d’or.
    Trop sûre d’elle pour être sensible à une telle discordance, notre voisine n’était occupée que du spectacle qui nous entourait.
    — Le Roi semble satisfait de se trouver en notre bonne ville, remarqua-t-elle après avoir jeté un coup d’œil vers le souverain qui s’entretenait avec mon père et quelques autres notables, dont Gaspard de Cintré, l’époux trahi.
    — Notre sire aime Blois, chacun le sait.
    — Il faut reconnaître qu’on l’y reçoit le mieux du monde. Seule, la Dauphine ne paraît peut-être pas aussi épanouie que sa récente maternité aurait pu le laisser espérer…
    Au léger froncement des sourcils de ma mère, je compris que l’allusion avait déplu.
    — Hélas ! Gabrielle, le dévergondage est général, ce n’est pas à vous que je l’apprendrai ! La Cour n’est que scandales et l’exemple vient de haut.
    Je devinais que la nature vertueuse de ma mère ne pouvait admettre sans malaise l’exhibition impudique des débordements royaux. Voir la duchesse d’Étampes assise avec hardiesse à la droite du monarque, à la place qui revenait de droit à la reine Éléonore, ne lui paraissait certainement pas une bonne chose. L’absence de notre souveraine laissait le terrain libre à la maîtresse triomphante du père, tout comme la complaisance forcée de la Dauphine permettait à la Grande Sénéchale d’afficher publiquement avec le fils une liaison dont la solidité intriguait et passionnait toute la Cour.
    — Ce sont pour nos filles de bien tristes modèles, continua ma mère. Votre Catherine et notre Cassandre n’ont certes rien à gagner à de pareils spectacles.
    Gabrielle fit la moue. Elle détestait qu’on parlât ouvertement devant elle des deux enfants déjà presque adultes que son vieux mari avait eus d’un premier lit. Pas plus que Catherine, son frère aîné, Jacques de Cintré, ne portait d’affection à la belle-mère trop voyante, trop avide, trop légère qu’il leur fallait supporter.
    Sur ces entrefaites, on vint me chercher pour me conduire vers le groupe frémissant des demoiselles qui allaient être présentées au Roi.
    En me dirigeant au milieu de la cohue vers le coin de la salle où nous étions regroupées, je croisai justement le frère de Catherine qui parlait avec animation au sein d’un groupe d’écuyers et de pages. Je le saluai au passage, tout en observant à part moi que son pourpoint de soie cramoisie ne seyait guère à sa complexion d’homme sanguin.
    … La mémoire est chose étrange : je me souviens de ce détail infime alors que des pans entiers de ce qui suivit, autrement plus important pour moi, ne m’ont laissé qu’une impression confuse et nébuleuse comme si l’excès même d’émotion en avait décoloré l’image.
    Parmi les jeunes filles que je rejoignis alors, aucune ne m’était inconnue. Nous
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