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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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légèrement surélevé, le Roi, dont on disait que la mauvaise santé inquiétait l’entourage, conservait cependant belle prestance. Un couvre-chef plat, à larges bords, garni d’une plume blanche fixée à la coiffe par une escarboucle étincelante, lui tenait lieu de la couronne que, dans ma naïveté, j’avais imaginé lui voir porter. J’admirais l’air de majesté aimable, le sourire gourmand, le lourd collier d’or qu’il portait sur son pourpoint couvert de broderies, la manière élégante dont il se caressait la barbe tout en conversant avec ses familiers.
    Je l’avais déjà vu de loin, lors de ses précédents passages dans notre ville, mais mon âge encore trop tendre m’avait tenue éloignée de lui. Pour la première fois, je participais à une fête dont il était l’ornement.
    À la droite du souverain, la duchesse d’Étampes, raidie sous les brocarts et les gemmes, présidait d’un air blasé et enjoué à la fois, tandis que la Dauphine, Catherine de Médicis, notre parente, point trop jolie mais bien proportionnée et le visage animé, demeurait un peu en retrait. Non loin d’elle, le prince Henri, son époux, Dauphin de France, entouré des gentilshommes de sa maison, conversait le plus naturellement du monde avec la Grande Sénéchale, Diane de Poitiers. Chacun savait, même moi, qu’elle était pour lui une maîtresse adulée, en dépit du tendre respect qu’il témoignait également, assurait-on, à sa femme légitime. Calme et sereine dans une sobre mais fort élégante tenue de velours noir et de satin blanc, la tendre amie du Dauphin me parut encore très belle, quoiqu’elle ait eu alors près de quarante-cinq ans, ce qui me semblait bien vieux ! Son éclat éclipsait de loin celui de la Dauphine. On chuchotait cependant que les deux rivales ne s’entendaient point trop mal.
    Après une période orageuse et, l’année précédente, le renvoi temporaire de Diane, exilée à Anet en l’absence de son amant par le souverain mécontent, un compromis s’était établi entre Catherine et la Grande Sénéchale rentrée en grâce. On admettait que celle-ci s’était toujours montrée de bon conseil pour celle-là, dont elle était la cousine, ce qui les rapprochait en dépit de tout ce qui pouvait les séparer. Il était de notoriété publique que Diane veillait à la régularité des rapports conjugaux du couple delphinal, allant jusqu’à choisir elle-même les nourrices du fils que la Dauphine avait mis au monde en janvier de l’année précédente, après dix ans d’une stérilité qui avait tant préoccupé François I er et ses sujets.
    Les derniers accents d’une gaillarde allègrement enlevée par les musiciens du Roi s’égrenaient au-dessus des têtes jacassantes quand je sortis de l’éblouissement où m’avait plongée ce contact initial avec un monde dont les attraits demeuraient le sujet de conversation préféré des habitants de notre province.
    Mes parents allèrent saluer la famille royale sans qu’il me fut permis de les suivre. N’ayant pas encore été présentée à la Cour, je devais attendre ce moment solennel pour me manifester.
    Ma mère m’avait confiée à Catherine de Cintré, la fille d’un de nos voisins de campagne. Un peu plus âgée que moi et déjà intronisée, Catherine, qui était une de mes meilleures amies, m’avait félicitée pour ma robe d’apparat et assurée que j’allais faire des ravages dans les rangs des pages…
    Blonde et menue, avec un visage triangulaire au teint pâle qui n’était éclairé que par d’étroits yeux gris, ma compagne cachait beaucoup de détermination sous son apparence fragile. C’était ce que j’aimais en elle. Quand je me trouvais à Talcy, il n’y avait presque pas de jours où nous ne nous voyions. Ce soir-là, elle semblait un peu écrasée par sa vaste robe de samit de soie.
    — Vous êtes bien mieux habillée que moi, observa-t-elle comme si cette remarque impliquait une sorte de fatalité. On voit que c’est votre mère en personne qui s’occupe de vous !
    Je savais combien Catherine souffrait du remariage de son père. Resté veuf une dizaine d’années auparavant, cet homme sur le déclin, poussé par je ne sais quel démon du soir, s’était laissé prendre au piège que lui avait habilement tendu une ogresse flamboyante qui, depuis lors, le trompait sans vergogne.
    — Ma belle-mère est une épouvantable garce, m’avait dit mon amie un jour de rancune filiale,
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